La culture du fruit à pain, un marché de niche

En Guadeloupe, il existe un seul exploitant agricole dédié à la culture du fruit à pain. Il s’agit de Lucien Dacalor, habitant de Cambrefort, à Capesterre-Belle-Eau. En vingt ans, il a planté plus de 60 arbres à pain et distribue ses récoltes sur le territoire. Investi corps et âme dans ce projet, il aspire à la création d’une filière professionnalisée de fruits à pain dans un futur proche.

C’est à son retour d’un séjour à Cuba que Lucien a l’idée folle de développer une plantation unique et inédite en Guadeloupe de fruits à pain. «Je suis un grand voyageur et surtout un résistant. J’aime penser à des projets hors du commun qui sont en lien avec mes racines et mon terroir. Si vous me demandez pourquoi le fruit à pain ? Je vous répondrais que ce fut une inspiration !». C’est ainsi que dans les années 2000, Lucien plante son premier arbre à pain.
D’UNE IDÉE À UN PROJET CONCRÉTISÉ
A l’époque, personne ne croyait sérieusement au projet de Lucien. «On trouve des fruits à pain partout sur les abords des routes de Guadeloupe ou dans les jardins de nos parents. Il ne semblait pas sérieux de pouvoir constituer une culture viable et pérenne autour de ce légume. Mais moi, j’y ai cru. C’est une ressource naturelle que nous offre la terre et elle serait le moteur d’une nouvelle activité».
En effet, Lucien Dacalor, comptable et acheteur, se lance dans la plantation de 9 arbres à pain. «Je ne connaissais pas vraiment le travail qu’incombe ce type de culture. J’étais davantage habitué à la culture de la banane plantain. Mais j’ai appris sur le tas et j’ai eu mes premières récoltes très rapidement».
L’exploitant agricole a foi et optimiste au fil du temps ses rendements. «J’ai compris que les arbres avaient besoin d’espace. J’ai aussi compris qu’ils avaient besoin d’un terrain drainé, avec un PH équilibré. Puis, j’ai découvert qu’il était nécessaire de les élaguer régulièrement pour cueillir plus facilement et pour récolter des fruits plus gros, plus concentrés en goût et surtout plus qualitatifs». Lucien Dacalor peaufine ses techniques de la culture du fruit à pain. «C’est un légume qui fait partie de l’histoire de la gastronomie guadeloupéenne, mais il est rare d’en connaître les astuces d’exploitation. Je conseille donc de couper les arbres à partir de 5 mètres de hauteur, cela permet également de réduire les accidents domestiques».
UNE CULTURE APPRIVOISÉE
Le fruit à pain est sur toutes les tables, que ce soit en Guadeloupe, en Polynésie, à Madagascar, à la Réunion, mais on le retrouve très peu sur les étales des marchés. «La Guadeloupe consomme 75 000 tonnes de fruits à pain par an. Or, je suis le seul exploitant et distributeur du territoire et je produis 40 000 kg (pour 8000 fruits) avec mes 60 arbres. Le calcul n’est donc pas bon, car nous consommons majoritairement des fruits à pain issus de particuliers, qui sont hors du circuit professionnel».
Même si Lucien livre de nombreux hypermarchés, restaurants et cantines, intéressés par ce produit, mais il ne peut pas répondre à toutes les sollicitations. «Le fruit à pain est très demandé de par ses apports en calcium et en glucides. Il est facile à cuisiner et, surtout, c’est un légume au prix abordable pour de nombreux foyers. Je vends 1€ la pièce ! Je pense qu’il serait dès lors judicieux que d’autres agriculteurs se penchent sur ce marché de niche».
CRÉER UNE COOPÉRATIVE ?
Face à un tel engouement, Lucien Dacalor ne peut qu’être ravi de son choix. «Je me suis pris de passion pour cette culture. Bien sûr, elle demande de l’entretien et de l’investissement mais l’amortissement est immédiat. J’encourage les personnes qui ont du foncier à se lancer. Il s’agira d’acheter une élagueuse et le tour est joué !».
Il y a, semble-t-il, un marché en plein essor autour du fruit à pain. «On le récolte quasiment toute l’année. Sa farine ne contient pas de gluten. Sa chair permet de lutter contre le diabète et il est même possible de la cuisiner en fruits confits. Ses utilisations, déclinaisons et recettes sont nombreuses et même le chef Jimmy Bibrac a plébiscité le fruit à pain. Il serait bon que l’industrie agroalimentaire et les pépiniéristes s’intéressent à ce dossier. Nous avons la possibilité de créer une culture simple et bénéfique à la Guadeloupe, il faudrait se mettre au travail et créer, pourquoi pas, une coopérative».
S’OUVRIR À D’AUTRES PISTES
DE RÉFLEXIONS
La culture du fruit à pain peut être impactant à d’autres niveaux. «Il s’agit également de voir plus loin. Elle nous offrirait une autonomie alimentaire et, en plantant de nouveaux arbres, nous pourrions lutter contre le réchauffement climatique, réduire ainsi nos émissions de carbone et redonner vie à nos terres, entachées par le chlordécone. Vous pouvez même planter des christophines au pied des arbres à pain. Il y a une nouvelle voie à étudier et je diffuse ce même message depuis deux décennies. Il n’est pas question de viser l’export, mais principalement d’inonder nos marchés de fruits et légumes de chez nous et de créer, ainsi, une harmonie progressiste dans notre développement».