Piégés par les eaux ou par la gabégie des autorités

L es milliers de Guadeloupéens qui ont passé la nuit du lundi 7 mai, dans leur voiture aux bords des routes ou dans les cuvettes de la ville de Pointe à Pitre et des Abymes et ceux qui ont assisté impuissants à la montée des eaux dans leur maison ont eu un haut le cœur en entendant le matin venu, les déclarations de ceux qui exercent l'autorité dans ce pays. A les entendre, il n'y a pas de quoi fouetter un chat. Les choses se sont bien passées, on ne dénombre pas de morts ou de disparus. Ce n'était qu'un phénomène exceptionnel. Le Préfet et les élus guadelou- péens, surtout ceux qui n'ont pas quitté leur «nid douillet» peuvent-ils mesurer le choc psychologique d'une mère enfermée dans une voiture «noyée» dans un torrent d'eau à Fouillole, sans aucun secours. Non ! Messieurs les responsables de la protection de la population, ce que nous avons vécu le 7 mai n'a rien d'un phénomène exceptionnel, imprévisible. Il s'agit d'un risque naturel connu, à répétition, qui devait être depuis longtemps traité en amont et qui doit relever d'un plan de gestion active

. Tout le monde sait que les zones de Pointe à Pitre, Abymes, Jarry, Lafond, Gosier, Morne à l'Eau, ont été pour certains, gagnés sur la mer ou la mangrove par comblement et que toute cette cuvette est le réceptacle des eaux qui déboulent des mornes des Grands Fonds. Dans ce qui s'est passé lundi soir et qui risque de se passer encore, nous mettons en cause la gabégie des autorités de l'Etat et des Collectivités qui ne prennent pas certaines mesures urgentes et indispensables pour réduire ou empêcher les inondations. Mais les conditions dans les- quelles cette nouvelle inonda- tion a été vécue, pose un problème sérieux au niveau de la prévision et de la gestion des risques naturels enGuadeloupe. Après le cyclone Marylin, la tempête Lenny sur la Côte Sous- le-Vent, les inondations des Abymes en 2011 et la dernière en date force est de constater qu'il y a un problème avec la météo ou le système de prise de décision en ce qui concerne le déclenchement des alertes. La météo est une affaire de proba- bilité on le sait. Mais on sait aujourd'hui le niveau technologique atteint dans ce domaine des prévi- sions climatiques. Le problème n'est pas d'ordre technique. Dans la déclaration faite par le chef du centre météorologique le matin de la catastrophe nous avons noté qu'il n'était pas surpris par le phénomène. Mieux, il le suivait depuis plusieurs jours et savait que les précipitations allaient s'aggraver en début de semaine entre lundi et mercredi. Il y avait un risque potentiel connu. Pourquoi, lorsque la pluie s'est installée à un niveau menaçant lundi en début d'aprèsmidi, l'alerte orange n'a pas été déclenchée pour permettre aux gens de regagner plus rapidement leur domicile. Le service de la météo a-t-il mis les éléments de la décision entre les mains du Préfet ? Si oui pourquoi le Préfet a-t-il attendu 19h30 pour déclencher l'alerte orange ? Pourquoi le principe de précaution n'est pas systématiquement appliqué en Guadeloupe comme c'est de règle sur tout le territoire français ? Le deuxième problème que soulève l'inondation du lundi soir est celui des secours

aux victimes. Le Préfet parle avec satisfaction d'une cinquantaine d'intervention des services de secours et de 63 per- sonnes secourues. C'est une plaisanterie lorsque l'on sait qu'il y avait des milliers de personnes bloquées dans leur voiture et dans leur maison, des fois sans moyens decommunication. Nous étions une cinquantaine de personnes bloquées dans la cuvet - te de Fouillole, sans possibilité de rejoindre Blanchard ou de rebrous - ser chemin vers le Carénage. Nous étions pris au piège avec femmes et enfants. Au cours de cette longue nuit, l'eau nous a libéré à 5h30 du matin, nous n'avons vu personne : ni pompiers, ni secouristes, ni services municipaux, rien ! Nous avons survécu de cette épreu- ve grâce à notre instinct de solidarité. On ne se connaissait pas à 20h, à 21h on était des compagnons d'infortune, à minuit on se réchauffait dans les voitures, veillant l'un sur l'autre comme des frères, interdisant à l'un d'entre nous, plus impatient de prendre le risque de traverser. L'inondation de lundi a montré les dif ficultés de se déplacer même pour les services spéciali - sées de secours à moins qu'il n'existe aucun plan inondation dans la région pointoise qui aurait permis aux secours de venir au moins en éclaireur . Il nous semble que dans le plan de prévention et de gestion des risques naturels, il est indispensa - ble d'avoir au plus près de la popu - lation, dans les quartiers, des équi- pes de bénévoles formés aux interventions de sécurité, de prise en charge, de premiers secours dans les situations de catastrophe. Si les autorités pouvaient nous entendre, nous pourrions oublier plus facilement la nuit passée dans l'eau.