Les nuits bleues de l’indépendance

Après la diffusion du documentaire : «Les nuits bleues de l’indépendance» dont l’auteur est Jean-Philippe Pascal et le réalisateur Viannay Sotès, nous avons voulu connaître le point de vue de Luc Reinette, un des combattants de la liberté du peuple guadeloupéen sur la sortie du film.

Quel regard portez-vous sur le film ?
Luc Reinette : On avait le sentiment qu’entre 1967 et 2009, l’époque du LKP, qu’il n’y avait rien. Il y avait une sorte d’occultation des dix ans de combat de lutte armée. Malheureu-sement, cela venait à la fois du colonialisme français et d’une partie du camp patriotique. C’est vrai qu’il y a au sein de la décennie 1980 une période très particulière, notamment marquée par la mort par explosion de quatre militants de l’Union pour la libération de la Gua-deloupe (l’UPLG), le 24 juillet 1984.
C’est un épisode douloureux, qui restait sans réponse pour certaines personnes. Je pense que certains patriotes ont décidé de ne plus parler de cette période, pour ne pas avoir à évoquer ce drame.
Faisant ainsi, ils effaçaient dix ans d’histoire du pays. Il a manqué un maillon à la chaîne de notre histoire, et ce documentaire, de mon point de vue, rétablit le maillon manquant. Maintenant, chacun peut porter un regard personnel et éventuellement critique sur ce documentaire qui a le mérite d’exister et de fournir une grille de lecture sur des faits mal connus de beaucoup de Guadeloupéens

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Ce documentaire permet surtout, de proposer une réponse à ce qui s’est passé réellement le 24 juillet 1984 avec la mort de ces quatre militants de l’UPLG entre autres.
C’es vrai que cela dérangeait également les Français parce qu’il y a eu des négociations entre l’Etat français et les membres de l’Alliance révolutionnaire Caraïbe (l’ARC).
Le président Chalus a manifesté la volonté de mettre le documentaire à disposition des lycéens. Quelle suite selon vous, est-il possible de donner à ce documentaire ?
Le président Chalus a parlé de donner accès à ce documentaire à chaque lycéen, parce que cela fait partie de l’histoire positive de la Guadeloupe, qu’on le veuille ou non.
C’est aussi une période (les années 1980) où des jeunes de 20 à 40 ans, par dizaines, par centaines, se sont engagés dans un combat illégal pour la liberté, soit par un engagement sur le terrain, soit à travers des réseaux de soutien logistique. C’est important que les jeunes et les moins jeunes qui n’ont pas connu cette période, aient une connaissance d’un pan de l’histoire de la Guadeloupe.
Quel impact a eu cette période sur la construction de la société guadeloupéenne ?
Je pense que nous devons analyser notre situation, notre devenir sur le long terme. Dans le documentaire, certaines personnes interrogées ont déclaré que c’était un échec, que la lutte n’a pas abouti. Nous disons que si les négociations n’avaient pas été brutalement interrompues par la mort des quatre militants de l’UPLG, nous serions sans doute dans un autre contexte politique que celui d’aujourd’hui, mais le combat continue avec la même détermination. La vie d’aujourd’hui est toujours en lien avec celle que nous avons vécue la veille, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de rupture entre les évènements. Aujourd’hui, nous constatons qu’il y a un processus, assez généralisé, au niveau de la Guadeloupe, la Martinique, la Gu-yane, qu’on ait au moins l’Autono-mie. Ce qui veut dire qu’on serait en train d’avancer.
Ce qui serait grave, ce serait de constater que tous les politiques, et aussi le peuple, se figent dans un statu quo mortifère. Quelque part, il y a une maxime qui dit : «En toute chose, l’importance c’est la fin», ce qui veut di

re que la période que nous avons vécue dans les années 1980, est un épisode. La vie est une série d’épisodes et nous verrons comment se terminera «le film», de notre Histoire. J’ai été, je suis, et je reste confiant.
Vous avez consacré toute votre vie à la lutte pour l’émancipation du peuple guadeloupéen. Quelque part, vous êtes un «sacrifié». Pensez-vous qu’un jour votre lutte sera payante ?
Je rappelle que je ne me considère pas comme un «sacrifié». Je pense qu’en tant que colonisé, ma mission comme celle de tous les autres colonisés est de lutter pour l’éradication totale du colonialisme. Tant que nous n’aurons pas terminé avec la colonisation, nous ne serons jamais libres.
Qu’est-ce qui est plus beau pour un pays, un peuple, un homme, une femme ? C’est la liberté. J’ai toujours inscrit mon combat pour ma génération mais aussi pour les générations qui vont nous succéder.
Fondamentalement, nous sommes des hommes et des femmes qui appartiennent au Tiers-monde. Nous sommes l’un des rares pays au monde qui ne soit pas encore décolonisés. Nous avons la mission d’aller jusqu’au bout.
J’ai 72 ans, j’estime que ma mission n’est pas achevée. Tant que j’aurai un souffle de vie, je continuerai à mener la lutte pour la même cause. C’est ce combat qui donne à ma vie un sens.
Si vous vous contentez de vivre dans un système imposé par l’occupant parce que vous avez une maison, un emploi, un véhicule et que vous fermez les yeux sur l’état et le devenir du pays, vous vous comportez en égoïste.
Je suis satisfait du combat que nous avons mené, mais je n’étais pas seul. Je profite pour remercier tous ceux, hommes et femmes qui se sont engagés durant dix bonnes années, avec des risques certains pour leur vie et celle de leurs familles, tous les hommes et fem-mes qui nous ont aidés à travers des réseaux qui nous ont permis de tenir si longtemps. Je salue tout le peuple qui nous a soutenus, notre peuple, malgré l’appel à délation lancé par l’Etat français à travers les affiches de la honte. Le combat continue et nous sommes debout !