1er séminaire sur l’évolution institutionnelle des sociétés ultramarines
Le samedi 1er octobre 2022, à l’initiative de l’Assemblée départementale de Guadeloupe, un séminaire a été organisé à la Résidence départementale du Gosier avec quelques élus guadeloupéens triés sur le volet, pour débattre de l’évolution institutionnelle de la Guadeloupe.
Pour la circonstance, de gran-des pointures ont été invitées : Bruno Magras, ancien sénateur de Saint-Barthélemy et ancien président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer ainsi que Antoine Karam, ancien président du Conseil régional de la Guyane, ancien sénateur et signataire de la Déclaration de Basse-Terre.
Parmi les spécialistes du droit politique et institutionnel, c’était l’occasion de bénéficier de l’expertise de trois universitaires dont Ferdinand Melin-Soucramanien, Professeur de droit public à l’université de Bor-deaux, président du Conseil d’administration de l’Institut national du service public (INSP) et président de l’AJDOM, qui est intervenu par visioconférence. Fred Réno, Profes-seur de science politique à l’université des Antilles et Julien Mérion Politologue. Le programme n’a prévu l’intervention officielle d’aucun élu de Guadeloupe.
Nous avons pris note de quelques idées fortes qui se dégageaient dans ce premier séminaire. Dans son intervention, Ary Chalus, président du Conseil régional de Guadeloupe a condamné ce qu’il appelle le réflexe de centralisation du pouvoir. Il fustige surtout les transferts de compétence sans les moyens suffisants. Le président de Région considère que «l’Appel de Fort-de-France» qu’il a signé est un «Appel» pour libérer la solidarité des différents territoires, et par la même occasion, dégager les performances territoriales.
Dans l’intervention préliminaire du président de l’Assemblée départementale, Guy Losbar, il est cons-cient qu’il va falloir faire preuve de responsabilité, de rechercher une méthode efficace pour conduire le projet et convaincre la population. Ce qui n’est pas gagné d’avance quand on connait le désamour qu’il y a entre la population et les élus.
Pour Bruno Magras, l’obligation d’adaptation figure dans la Consti-tution, les difficultés viennent sur les moyens. Pour répondre à la préoccupation des élus qui posent le problème de l’adhésion de la population au projet, Bruno Magras conseille de faire beaucoup de pédagogie. L’expérience de ce dernier, lui permet de dire, qu’un pays qui choisit un statut, ne part pas à l’aventure, car tous les actes des collectivités fussent-elles autonomes sont soumis au contrôle de l’égalité, par le préfet, par le ministère des Outre-Mer, voire même par les autres ministères. Cela pourrait rassurer tous ceux qui redoutent certaines dérives des gouvernants.
Le Professeur Ferdinand Melin-Soucramanien a développé sur le statut pluriel des collectivités ultramarines, limites et enjeux des véritables différentiations territoriales. Il reconnait qu’à La Réunion, c’est un débat chargé de peur et que seule la présidente du Conseil régional de La Réunion a franchi le pas en signant «l’Appel de Fort-de-France». Un sondage effectué à La Réunion confirme que 80% de la population se déclare opposé à tout changement. D’après l’expertise du Profes-seur Soucramanien, l’article 74 serait plus approprié pour la Gua-deloupe. Il considère le système 74 plus souple que le 73.
Le Professeur Fred Réno a porté son expertise sur les 75 ans de départementalisation. Il a mis en lumière ce qu’il appelle le «paradoxe guadeloupéen», c’est-à-dire, une dépendance consentie. En comparaison à la Martinique et à la Guyane, la Guadeloupe est considérée comme le pays le plus rebelle alors qu’à deux reprises elle a résisté au changement politique.
Il constate une dépendance généralisée notamment dans le contexte ultramarin et que l’interventionnisme étatique est à l’origine d’une réelle dépendance. C’est une dépendance désormais transformée en ressource et perçue par les populations et les élus comme telle.
D’autre part, l’application des lois sociales, donc du principe républicain de solidarité a pour première conséquence l’intégration sociale et le renforcement de la dépendance dans ce contexte ultramarin.
Pour Fred Réno, il faut identifier ce qu’on entend par nos intérêts propres. Il faut définir ce que nous voulons, qu’est-ce qu’il faut protéger et défendre. Le politologue Julien Mérion a posé deux questions : Où en sommes-nous et que voulons-nous ? Il a brossé un tableau presque exhaustif du parcours historique de la revendication de l’Autonomie en Guadeloupe.
Selon Julien Mérion, beaucoup de nos politiques avaient fondé de grands espoirs sur la loi de la différenciation du 21 février 2022. Cependant, il estime que ce texte ne va pas tellement plus loin en la matière. Par conséquent, il est impossible de trouver dedans les réponses aux questions essentielles pour l’avenir de la Guadeloupe. Il énumère un certain nombre de questions auxquelles il faudra pouvoir porter des réponses claires, comme : «Cette volonté politique est-elle claire et manifeste ?». «Le consensus sur le projet existe-t-il bel et bien ?». C’est, selon lui, une condition indispensable pour aborder la seconde étape, qui est celle de la négociation avec l’Etat sur les conditions de partage des compétences.
Autre recommandation formulée par lui, c’est qu’on ne peut pas négocier avec l’Etat si on n’a pas derrière soi les élus qui acceptent de s’inscrire dans la démarche espérée. Bien évidemment la troisième étape étant l’adhésion populaire. Pour que la «mayonnaise puisse prendre», le politologue invite à cogiter sur certaines questions comme : «Quelle méthodologie pour obtenir le con-sensus des élus ?». «Comment faire adhérer le peuple guadeloupéen à ce changement ?».
La question du statut européen : «Voulons-nous rester région ultra périphérique (RUP) ou voulons-nous évoluer vers un statut de Pays et Territoire d’Outre-Mer (PTOM) ?». «Quelle relation avec l’espace régional caribéen ?». «Quelle solidarité mettre en place ?». «Comment prendre en compte le mouvement social ?». «La question du changement peut-elle se régler à une querelle d’articles ?». «Quels sont les objectifs à court et moyen terme ?». «Changer pourquoi ?». «Quels sont les porteurs du projet ?». «Changer avec qui ?». «Qui va incarner le changement ?
Les écueils du changement sont là, il faut éviter l’enfermement juridique à tout prix. Au centre du problème se trouve la question de confiance.
Les échanges étaient fructueux, il y avait beaucoup de redites mais attendons de voir la suite qui sera donnée à ce premier séminaire.