«LES NUITS BLEUES DE L’INDÉPENDANCE» : Réactions de deux militants du MPGI

La sortie du documentaire «Les nuits bleues de l’indépendance» réalisé par Jean-Philippe Pascal et Viannay Sotès n’a pas laissé indifférents Henry Amédien et Henri Pératout qui ont été eux aussi acteurs de cette période historique de la Guadeloupe. Ils se désolidarisent complètement de ce court-métrage qui selon eux a occulté une certaine réalité. Nouvelles-Etincelles leur a donné la parole pour qu’ils s’expriment.

Quelle est votre réaction à la sortie de ce documentaire ?
Henry Amédien : Nous avions connaissance de l’existence du film avant sa sortie, en avant-première. On nous a invité pour en parler mais cela ne s’est pas fait. Ensuite, nous avons été invités à sa sortie en avant-première. Nous avons fait savoir que cela ne nous intéressait pas. Nous considérons que ce n’est pas respectable que ce soit par la forme ou dans le fond. Certaines choses révélées font partie de notre histoire, nous disons qu’ils auraient dû au moins nous entendre. On ne peut pas nous inviter uniquement à assister à la sortie du documentaire.
Voulez-vous dire que vous n’avez pas été consultés avant la sortie du documentaire ?
Ils auraient dû nous entendre, même si notre témoignage ne leur serait d’aucune utilité. Je pense que cela pourrait compléter ou confirmer ce qui avait déjà été recueilli comme information. Ce film, est celui de Luc Reinette et de Jean-Philippe Pascal ! Nous aurions souhaité comprendre les raisons qui ont guidées leur démarche

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Personnellement, cela ne me dérange pas parce que je ne suis pas impliqué. C’est un documentaire qui reflète que la vision de Luc Reinette. La lutte n’a pas été menée qu''avec une seule personne. Il y avait d’autres, connus et inconnus qui ont porté leurs contributions. Eux aussi avaient leur mot à dire. Ce que nous disons, c’est qu’il y a quelque chose à faire pour leur rendre un hommage aussi. Ce n’est pas seulement l’action de ceux qui sont passés par la prison qui ont de l’importance.
Ce ne sont pas les quelques personnes qui ont été emprisonnées qui amèneront seuls la Guadeloupe vers l’indépendance mais la contribution de tous.
Quand nous étions en marronage, nous offrir l’hospitalité, nous nourrir, nous véhiculer relevait de l’exploit pour ces personnes qui prenaient des risques énormes. Ce sont les mêmes qui faisaient les démarches que nous ne pouvions faire nous-mêmes. Il faut savoir que tout militant accueilli portait une arme pour se défendre. Donc, ce ne sont pas uniquement ceux qui étaient emprisonnés qui avaient une vision pour la Guadeloupe. Ceux qui n’étaient pas emprisonnés étaient aussi des camarades. Nous avions en projet de nous refonder, cela n’a pas été entrepris.
Henri Peratout : Nous avons toujours une pensée pour nos camarades morts, Henri Bernard, René Elise, Humbert Marboeuf… mais nous avons aussi une pensée pour tous ceux qui nous ont soutenu à l’épo-que car, ce n’était pas une mince affaire. Beaucoup de gens ont eu des problèmes dans leurs familles parce qu’ils nous soutenaient. C’est la première fois que nous avons vu se manifester une telle solidarité en Guadeloupe. Des gens prenaient des risques énormes pour nous protéger, pour nous permettre d’exister, pour nous permettre de vivre dans le pays. Ils se sont engagés à ce niveau.
Nous le soulignons parce que nous considérons que la lutte n’est pas terminée. Peut-être que demain, nous aurons encore besoin d’eux ou même de leurs enfants.
Donc, vous voulez dire que dans le documentaire cet aspect des choses n’est pas pris en compte ?
Ils n’en parlent pas, du tout ! C’est précisément ce qui nous dérange. Nous ne sommes pas contre la réalisation du documentaire, car peut-être, qu’il a son utilité, mais nous disons qu’il mérite d’être amélioré.
Avant la sortie du documentaire, Henry Amédien et moi-même, avions souhaité une concertation, une discussion avec le concours d’historiens, de sociologues et de scientifiques qui nous auraient donné une méthodologie pour rendre cohérent le documentaire. C’est ce que nous leur reprochons.
Par ailleurs, on a occulté la situation politique et sociale du pays, l’élément déclencheur des années 1980 qui nous a conduit à agir. Nous ne sommes pas sortis de nulle part comme des «bwabwa» et nous engager dans un tel mouvement. C’est qu’il y avait bien une réalité politique, une conjoncture qui nous a déterminé à rentrer dans un tel mouvement, on ne retrouve pas cela dans le documentaire. Ce n’était pas un casting ni même un film que nous étions en train de jouer !
Avez-vous le sentiment que c’est un documentaire réalisé à la va-vite ?
Oui ! Peut-être qu’il y avait de bonnes raisons. Il y a une conjoncture politique qui s’apprête avec la démarche de certains élus sur l’évolution institutionnelle. Peut-être que c’est pour cela qu’ils ont précipité sa sortie, pour que chacun puisse déjà se positionner.
Autrement dit, la sortie de ce documentaire en cette période n’est pas fortuite ?
C’est calculé, car elle est placée après l’Appel de Fort-de-France et la revendication de l’Autonomie. Tout le monde essai de se frayer une place avec tous les concepts que le gouvernement a inventés comme l’Autonomie, la domiciliation du pouvoir etc…, certains commencent à mettre les pieds en cale-pieds pour prendre le départ d’une course qui n’a pas de ligne d’arrivée.
Avec ce documentaire, on a l’impression qu’on nous dit que l’indépendance, la souveraineté, c’est terminé, on en reparle plus. Nous n’allons pas entrer dans un conflit avec ce qui a déjà été fait, nous sommes encore vivants, c’est à nous qu’incombe la tâche de mettre en place des actions pour donner encore plus de sens à notre combat.