«Ce qui importe, c’est de pérenniser une presse anticolonialiste !»

Nous voici parvenus au numéro 1000 des Nouvelles-Etincelles, ce qui est une prouesse compte tenu de l’érosion d’une presse locale qui occupait largement l’espace public, toutes opinions politiques et confessionnelles confondues. En se déplaçant aux archives départementales de la Guadeloupe, on est surpris par cette floraison de titres qui chacun dans son couloir parlait du pays en profondeur.
Ce n’est un secret pour personne que le gouvernement colonial de la France, d’interdictions en saisies, a voulu faire taire une presse qui dénonçait ses pratiques, pourfendait une politique menée au profit des grandes familles bananières, des grands groupes sucriers, d’une administration arrogante, carriériste, éloignée des réalités du pays et une oligarchie commerciale qui aujourd’hui plus que jamais domine l’univers économique guadeloupéen.
Il fallait interdire une presse qui dénonçait l’aliénation culturelle, l’asservissement intellectuel et une départementalisation à visée assimilationniste outrancière.
Les Nouvelles-Etincelles ont pris le relais de L’Étincelle qui n’a pas été épargné par les schismes, les erreurs, les accidents et incidents de parcours et les marques des combats frénétiques qui agitent notre humanité.
Mais, à ce sujet, et en cette année commémorative du centenaire de la naissance de Jacques Stephen Alexis, comment ne pas se référer à lui qui disait que, «les héros les plus grands soient-ils ont les limites de leur temps» ?
Ce qui importe, c’est de continuer le combat contre le fait que notre territoire soit encore administré à 7000 km, avec des cadres venus, pour certains, parfaire leur carrière et qui sont pétris à l’école de la tradition de centralisation administrative. Nous n’oublierons jamais cette observation faite par Dominique Voynet, un moment ministre de l’Environnement et qui se rendant à une réunion en préfecture en Guadeloupe, n’a pu s’empêcher de dire : «il faut penser sérieusement à tropicaliser l’encadrement ici…». Les choses n’ont pas changé et ont même empiré. Il suffit pour cela de regarder le journal télévisé.
Ce qui importe, c’est d’éduquer les Guadeloupéens à ne pas vendre leurs terres à des individus expatriés, dont l’enfance et l’imaginaire ont été pétris du darwinisme social, plaçant l’Européen au sommet de la hiérarchie des peuples, persuadés qu’ils sont ici pour nous sauver, alors que s’installe un insidieux entre soi, présent dans les organismes sociaux, allant des associations de parents d’élèves aux conseils municipaux, installant parfois un Pretoria haineux et indigne d’un monde soi-disant évolué.
Ce qui importe c’est de se débarrasser d’une France arrogante, prétentieuse et qui considère son histoire coloniale comme l’une des prouesses de l’humanité et qui aujourd’hui encore se sent indispensable à la marche du monde, au-delà de ses contrées.
Ce qui importe c’est de développer l’estime de nous-mêmes, croire en ce que nous sommes, alimenter l’idée que tout en étant pareils aux autres, nous avons une singularité, une personnalité collective capable d’éclairer le monde.
Ce qui importe, c’est de nous battre pour un système de soins, une politique éducative, culturelle, sportive et économique endogène.
Ce qui importe, c’est de jeter un autre regard sur la France et conduire celle-ci à nous envisager comme n’importe quel partenaire, sans accorder de l’importance à une pseudo primauté historique, davantage vecteur d’assujettissement que d’élévation.
Ce qui importe, ce n’est pas de garantir la pérennité des intérêts français à la Guadeloupe, mais de développer un partenariat gagnant-gagnant, avec tous les pays qui le souhaitent.
Ce qui importe, c’est de soutenir la lutte des peuples pour leur indépendance et plus particulièrement la Kanaky, qui subit un phénomène de caldochisation, annonçant sans doute ce qui nous attend si nous ne réagissons pas.
Ce qui importe c’est de construire des rapports d’amitiés réciproques avec le peuple français et lui faire partager notre humanité et notre désir d’accéder à la gestion de nos propres affaires.
Ce qui importe, en vérité, c’est de déconstruire le rapport colonial à la France…
Ce qui importe, c’est faire exister une presse anticolonialiste pour que la Guadeloupe, comme le disait Rosan Girard, puisse exister dans la tête des Guadeloupéens !