L’histoire d’un journal, le parcours d’un homme

Lui n’a jamais pris la tangente. Christian Celeste est resté fidèle au Parti communiste et à son organe de propagande devenu «Les Nouvelles-Etincelles». Une histoire qui débute en 1944 autour de Guadeloupéen illustres et se poursuit aujourd’hui alors que le journal fête sa 1000e édition.

Au 119 de la rue Vatable à Pointe-à-Pitre, le siège des «Nouvelles Étin-celles» est une institution. Pour preuve, le journal du Parti Com-muniste Guadeloupéen fête sa millième édition sous sa nouvelle formule lancée en 1997. Mais, l’histoire de ce média, aujourd’hui associée à celle d’un homme, Christian Céles-te, débute dès 1943, au mitan de la seconde guerre mondiale.
Cette année-là, une douzaine d’hommes, des communistes con-vaincus, comme Rosan Girard, Hegésippe Ibéné, Amédé Fengarol ou encore Raphaël Félix Henry décindent de créer une section locale du Parti Communiste. L’affaire est ardue et ambitieuse car, les contacts sont inexistants avec le siège du PC France. Ils sont en quelque sorte livrés à eux-mêmes, largement encouragés par Sabin Ducadosse, le seul à être allé à Moscou à l’occasion d’un Congrès international organisé par le Parti. Ils décident de fonder un journal comme support à leur propagande.
En avril 1944, ils achètent une presse et dans la foulée impriment 10 000 «flyers» pour annoncer la création de leur section

. Le 7 juin 1944 sort le 1er numéro de «L’Étin-celle». «Tous les dimanches, les pères fondateurs, mais aussi les militants, se rassemblaient sur la place d’une commune», raconte Christian Celeste, Secrétaire général du Parti de 1989 à 2008 et directeur de publication. Ils arrivaient en délégation avec les drapeaux accrochés aux voitures, se faisant remarquer à coups de klaxon. On les surnommait «La caravane rouge».
Ils vendaient «L’Étincelle», organisaient des conférences, engrangeaient des adhérents dans toutes les strates de la société : syndicalistes, fonctionnaires, enseignants… C’est comme ça que s’est construit le Parti Communiste. A telle enseigne qu’il y eut très vite une section active dans chaque commune, obligeant les dirigeants à se rebaptiser «Région communiste Guadeloupe».
Après la guerre, est venu le temps d’informer le siège national de la création du PC Guadeloupe. La nouvelle a non seulement surpris mais déplu aussi. Le PCF n’adhérait pas du tout à la naissance de cet électron libre, initiée sans leur accord, peu orthodoxe et assez loin de de la théorie marxiste. En 1946, avec l’élection des deux députés communistes Rosan Girard et Gerty Archi-mède qui viennent gonfler les rangs du groupe parlementaire communiste hexagonal, les mentalités évoluent et la section Guadeloupe n’est plus regardée comme une entité à part. A l’Assemblée nationale Rosan Girard, à la demande du groupe communiste, en devient le secrétaire et participe activement aux débats sous la IVe République.
LA FIN DE LA PENSÉE UNIQUE
1958 est une année capitale. Toujours avec le soutien de leur journal militant «L’Étincelle», les dirigeants décident d’ériger un Parti Communiste Guadeloupéen indépendant du PC national et le mot d’ordre de l’autonomie est lancé. «L’Étin-celle» évolue avec le Parti.
En 1976, lorsque le journal passe à l’Offset, on assiste à une révolution technique et intellectuelle. «On a commencé à accorder de l’importance à l’organisation et au contenu de la rédaction», explique Christian Céleste, l’actuel directeur de publication. «Avant, pour le dire franchement, le comité de rédaction se résumait à la pensée unique de la direction du Parti». Le rédacteur en chef commence alors à occuper la place qui lui revient. «Nous avons même eu un rédacteur en chef non communiste, au début des années 90, en la personne de Danik Zandronis, connu pour son profil nationaliste de militant engagé, quelque chose d’impensable pour l’époque. Cela intriguait et dérangeait même en France. Et pourtant, il a beaucoup contribué à la mutation du journal, et à son ouverture sur la société civile et sur le choix des thématiques. Il forme aux techniques rédactionnelles certains militants qui lui succèdent». Une évolution qui s’accélère le 4 décembre 1997 quand le titre devient «Les Nouvelles Étincelles».
«Aujourd’hui encore, les «Nouvelles Étincelles» reste le journal d’information communiste. Nous traitons l’information dans son ensemble, mais avec une analyse qui est la nôtre. Et avec quelques particularités comme ce rôle, qui est le mien, de directeur politique du comité de rédaction. Ceci ne nous empêche pas de faire appel à des collaborateurs extérieurs qui ne sont pas communistes». Et en dehors du rédacteur en chef qui est aujour-d’hui Paul Quellery-Selbonne, rémunéré pour son travail, tous les autres rédacteurs le font gracieusement dans un esprit militant, pour le Parti. A travers ce mode de fonctionnement, nous nous inscrivons pleinement dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Nous continuons à l’édification du peuple guadeloupéen, à sa libération nationale et à son émancipation mais version 2022».
LES JEUNES GUADELOUPÉENS
À MOSCOU
«Les Nouvelles Étincelles» va fêter leur 1000e édition. À cette occasion, il a été demandé aux contributeurs, mais aussi aux ex rédacteurs en chef et à tous ceux qui ont collaboré d’une manière ou d’une autre au journal, de donner leur sentiment sur la version actuelle et sur la manière dont ils voient son évolution. «Au cours de ces dernières décennies, nous nous sommes rapprochés d’une rédaction utile aux Guadeloupéens, à partir de notre sensibilité communiste. Comment pourrait-il en être autrement puisque les journalistes sont des militants mais qui officient à visage découvert. Et c’est toute la différence avec certains autres journalistes».
Christian Celeste façonné certes par l’idéologie marxiste, est un homme d’ouverture. Et si la notion d’autonomie lui est chère, il vit avec son temps. Alors qu’il était encore cadre à la SIG, dans les années 80, il va régulièrement se former à l’école des cadres de Lénine à Moscou. «D’autres Guadeloupéens vont même étudier à l’Université Patrice Lumumba à Moscou, en charge de former les hauts fonctionnaires. Beaucoup de chefs d’Etat africains, d’Amérique latine, d’Asie sont tous passés par Lumumba. À l’inverse, l’Institut Lénine des Sciences politiques forme les cadres politiques des partis communistes du monde entier. Elle existait en Union Soviétique, mais aussi à Cuba, en Roumanie, en RDA. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque. On envoyait les jeunes dans la perspective d’une libération de la Guadeloupe. Et ce, dans la perspective de former des cadres pour diriger le pays. Tous ces jeunes sont effectivement revenus au pays intégrant les rouages de l’administration de l’Etat français, les collectivités locales, le secteur privé. Certains ont même pris des positions inverses au Parti». Christian Celeste, ce Capes- terrien, père de 5 enfants, ancien premier vice-président du Conseil régional, sous la mandature de Félix Proto, est perçu comme fidèle à ses convictions, avec cette notion nationale qui a parfois fait défaut à son Parti. «Chaque communauté politique doit évoluer selon l’Histoire de son pays», a-t-il l’habitude de dire.
Par Marie-France Grugeaux-Etna - Le MAG de France-Antilles le 18 novembre 2022