COUPE DU MONDE DE FOOTBAL AU QATAR : Polémique, hypocrisie… Et football

C’est le rendez-vous footballistique le plus attendu, mais les scandales s’enchaînent. L’organisation du tournoi jette une lumière crue sur les violations des droits humains, le désastre écologique et la corruption endémique qui gangrènent le monde du sport et les atteintes à l’environnement... Elle fait plus parler d''elle pour les nombreuses polémiques qu''elle suscite que pour son aspect sportif qui va tenir en haleine le monde du sport et du football singulièrement, pendant un mois.

Les protestations vont bon train, car les raisons du malaise sont bien réelles, même si elles ne sont pas dénuées d’arrière-pensées. Les récriminations sont surtout du fait des Européens et des États-Unis. Coiffé sur le poteau par Doha, Washington a été à la pointe du combat judiciaire pour dénoncer le «Qatar gate», une attribution scandaleusement frauduleuse.
De tels reproches ont eu cours lors des mondiaux organisés conjointement par le Japon et la Corée du Sud ou bien par l’Afrique du Sud à qui on reprochait le manque d’infrastructures. Cette option correspond surtout à la stratégie de la FIFA qui entend étendre son empire, quelles qu’en soient les conditions.
Le sort des travailleurs immigrés, qui représentent les deux tiers de la population, a suscité beaucoup d’émotion. The Guardian, en février 2021, a évoqué les conditions de travail indignes et la mort de 6 500 travailleurs, sur dix ans, sur l’ensemble des chantiers des infrastructures du Qatar dont ceux consacrés au Mondial. Chaleurs d’étés, cadences infernales, absences de sécurité expliquent ces hécatombes, même si les travailleurs employés sur les chantiers sportifs ont bénéficié de conditions de travail bien supérieures par rapport aux autres immigrés venus du Népal, du Pakistan, du Bangladesh ou d’Inde. Ces hommes et ces femmes ne disposent d’aucun droit politique, syndical, social, ni d’aucune perspective d’intégration.
L’État qatari porte une lourde responsabilité dans cette situation aux côtés des agences de placement qui présurent les travailleurs immigrés, ainsi que les nombreuses entreprises étrangères, notamment françaises, qui en profitent largement. Les firmes françaises ont obtenu une part non négligeable des 220 milliards de dollars investis dans le plan de développement 2030 du Qatar qui comprend des stades et beaucoup d’autres aménagements. Ainsi Vinci a participé à la construction du métro de Doha, Alstom au tramway, et la RATP gère deux systèmes de transport.
Si des milliers de travailleurs continuent à souffrir d’exploitation et d’abus infernaux, sous la pression des opinions publiques et des ONG, le Qatar a lancé, selon l’OIT (l’organisation internationale du travail), de maigres réformes qui suscitent la colère du patronat local telle la création d’un salaire minimum.
Une autre critique concerne la climatisation des stades et les déplacements de spectateurs qui résideront en saoudite ou aux Émirats arabes unis, soit 1 600 atterrissages quotidiens. Alors que les préoccupations environnementales et le réchauffement climatique sont au coeur des enjeux et que les mentalités y sont de plus en plus sensibilisées, cette gabegie économique et écologique, sous la pression des organisations sportives, la cupidité des sponsors ou des annonceurs publicitaires, marquera une nouvelle étape dans le désaveu des grands événements sportifs.
L’indignation est cependant à géométrie variable car peu de voix se sont fait entendre sur l’attribution conjointe du mondial 2026 au Canada, au Mexique et aux États-Unis durant lequel les déplacements aériens et de supporters seront infiniment plus nombreux. De toute évidence, le bilan carbone neutre n’est pas au centre des préoccupations de la FIFA ou du CIO. Quant à l’attribution des jeux d’hiver parasitiques de 2029 à l’Arabie saoudite, cela ne suscite guère de remous dans la mesure où les dirigeants occidentaux ne souhaitent pas indisposer Mohammed Ben Salman. Ce véritable affront à l’environnement se déroulera dans la cité futuriste de Neom, avec exclusivement de la neige artificielle, non loin de l’Égypte où s’est tenue Cop 27.
Si les atteintes aux droits humains provoquent une juste indignation, elles ne doivent pas être un prétexte pour exprimer des ressentiments à l’égard du monde arabe. Et si le Qatar est si repoussant, il faudrait renoncer à ses investissements dans les entreprises du CAC 40, refuser de lui acheter du pétrole et du gaz et de lui vendre par exemple des Rafale et des Airbus.
Quant aux compétitions mondialisées, qui prétendent incarner la vitrine du sport, elles ne peuvent servir de prétexte aux violations des droits humains et aux atteintes graves à l’environnement. À l’image des femmes qataries qui dénoncent avec courage la domination patriarcale et les violences dont elles sont victimes sur les réseaux sociaux, notre responsabilité est d’être aux côtés de ceux qui se battent contre toutes les formes de domination, contre la loi de l’argent et le capitalisme qui brutalisent les individus et détruisent la planète.
En d’autre terme, s’il fallait s’arrêter sur toutes les injustices commises à travers le monde, très peu de pays serait en mesure d’organiser une grande compétition internationale tant que la situation au Qatar n’est pas un cas isolé.