Une scientifique guadeloupéenne récompensée pour ses travaux
Christine Barul, scientifique et chercheuse à l’Inserm en Guadeloupe, a été mise en lumière par la Fondation L’Oréal et lauréate du Prix Jeunes Talents L''Oréal-Unesco. Celui-ci a la volonté d’accompagner 35 femmes scientifiques dans l’univers de leurs recherches, de leur offrir de la visibilité, de la formation et un petit coup de pouce financier. Fière de cette récompense, elle entend mener à bien ses travaux dans le domaine de l’épidémiologie avec toujours plus de détermination.
Quels sentiments ressentez-vous après ce prix ?
Christine Barul : Je suis très heureuse. C’est un prix prestigieux qui fait chaud au coeur. Professionnel-lement, cela valorise mes années de travail. C’est un levier énorme pour continuer mes recherches dans des conditions optimales et explorer d’autres terrains de réflexion. Ensuite, d’un point de vue plus personnel, c’est aussi une consécration de voir des femmes scientifiques mises à l’honneur d’une si belle manière. De plus, sur 35 lauréates, nous sommes sept femmes natives ou oeuvrant dans les territoires d’Outre-mer. C’est un sentiment fort de voir nos îles et nos parcours mis sur le devant de la scène. Il faut savoir que 70% des chercheurs sont des hommes. Peu de femmes se lancent dans ce type de carrière car le milieu est encore sexiste. J’espère que ce prix pourra inspirer la nouvelle génération à poursuivre ses envies, dans quelque domaine que ce soit, et à imposer ses désirs.
Parlez-vous en connaissance
de cause ?
Bien sûr. L’univers de la recherche est encore englué dans des modes de pensée désuets et étriqués. Nous, jeunes femmes, arrivons avec de grandes ambitions et nous pouvons nous heurter à certaines barrières. Ce prix peut faire bouger les choses de manière positive. Il est important que les femmes scientifiques se rencontrent et échangent sur leurs expériences pour ne pas trop s’isoler. J’avais à coeur de candidater pour ce prix et je m’en suis donnée les moyens. Il y a eu 600 dossiers et je suis honorée d’avoir été choisie par le jury de l’Académie des sciences. Nous avons été très bien reçues et la dotation offerte va me permettre de poursuivre mes travaux dans de bonnes conditions. Ainsi, je prends ce rôle d’étendard très à coeur et ce gage de confiance envers mes travaux décuple mon énergie à partager mes publications et à m’investir dans mon métier, un métier-passion.
Votre champ d’expertise, l’épidémiologie, expliquez-nous
En toute transparence, je ne m’étais pas destinée à l’épidémiologie. J’ai étudié la biochimie à l’Université des Antilles et j’ai poursuivi un Master Santé publique à Bordeaux. C’est à ce moment-là qu’est né mon intérêt pour cette discipline. J’ai ensuite effectué une thèse de doctorat dans cette discipline. On trouve sa voie parfois par le hasard, par des lectures ou encore par des expérimentations… Moi, ce que j’aime dans l’épidémiologie c’est qu’elle va étudier l''impact des facteurs comportementaux, professionnels et environnementaux sur notre santé. C’est assez fascinant de voir à quel point la science est vaste et l’appétence pour elle vient naturellement. Dès lors, j’ai travaillé durant deux ans au Canada en qualité de post-doctorante. Puis, je suis rentrée en Guadeloupe et j’ai intégré l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) avec un programme de recherche inédit et prometteur que j’ai moi-même développé. Je m’attèle à travailler sur les expositions que nous subissons notre lieu de travail et ce lien qui pourrait exister avec le développement de cancers. Il existe un lien de cause à effet entre certaines expositions au travail et l’apparition de cancer et c’est en continuant à examiner le rôle de l’environnement de travail dans son ensemble que nous pourrons peut-être les éviter…
C’est-à-dire ?
A titre exemple, il se pourrait que le travail de nuit puisse être un élément favorisant le développement du cancer de la prostate. De plus, certains ouvriers agricoles, régulièrement en contact avec des pesticides, pourraient être également sujets à divers cancers. On parle alors d’«exposition professionnelle». Il est indispensable de considérer nos conditions de travail comme un déterminant de santé majeur pour rendre ces environnements plus sains. Nous, chercheuses et chercheurs, sommes les garants de preuves scientifiques, nous investiguons pour présenter des données les plus fiables possibles aux institutions. Nous collaborons pour établir de nouvelles normes, de nouvelles règles ; diminuer l’utilisation de produits, créer des équipements adaptés, revoir des méthodes de travail… Ensuite, c’est à elles d’agir dans l’intérêt de la santé publique.
Devez-vous faire face à des contraintes pour donner de l’écho aux résultats de vos recherches ?
J’ai du caractère et cela m’a permis de me créer des opportunités mais, en Guadeloupe comme dans l’Hexagone, les chercheuses et chercheurs doivent faire preuve de ténacité et de persévérance pour développer des projets de grande envergure, trouver des laboratoires et, bien sûr, trouver des financements. C’est un travail de fourmi et de longue haleine, mais tout est possible. Il y a des nombreux champs de recherches scientifiques encore inexploités, notamment dans nos territoires autour de l’impact du climat tropical et des populations afro-descendantes. Il ne faut pas faire de complexe d’insularité, ni de complexe de genre. La science doit être écoutée car elle a les moyens d’apporter des éléments de réponses sur des problématiques universelles.