Marie-Galante se relèvera-t-elle de sa très longue agonie ?

On peut encore l’espérer, si on se réfère aux conclusions de la préfète Chantale Ambroise, à l’issue de sa mission gouvernementale, avec la feuille de route du préfet Alexandre Rochatte. Depuis plusieurs décennies, nous interpellons les pouvoirs publics sur cette très longue agonie. Nous n’avons jamais eu le sentiment que cela s’avérait pour eux une priorité. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conclusions de cette mission touchent pratiquement de façon exhaustive les maux dont souffre la Grande Galette. Nouvelles-Etincelles a interviewé la préfète Chantal Ambroise.

Quels ont été vos principaux constats concernant le territoire marie-galantais ?
Chantal Ambroise : Marie-Galante est la troisième île française des Antilles en superficie (158 km²) derrière la Martini-que (1100 km²) et la Guadeloupe (1438 km²). Acces-sible par voie maritime en 60 minutes depuis la Guadeloupe, Marie-Galante enregistre un peu plus de 10 600 habitants. C’est la première communauté des communes de l’Outre-mer qui compte trois communes (Grand-bourg, Capesterre, Saint-Louis), une unité sucrière et trois distilleries. L’île est tournée vers la Guadeloupe pour ses relations (essentiellement avec l’agglomération de Pointe-à-Pitre). Les relations directes avec les autres îles des Petites Antilles sont peu nombreuses et s’effectuent via Pointe-à-Pitre, sauf traditionnellement avec la Dominique.
A- La première particularité de Marie-Galante : sa double insularité
Les atouts que représente la double insularité (caractère spécifique de l’île, originalité géographique et paysagère, caractère authentique et préservé…) sont autant de con-traintes lorsqu''ils sont regardés sous l’angle du développement économique et de l''aménagement du territoire

. La double insularité augmente drastiquement le coût des prestations, des services et des travaux d’aménagement. Les entreprises facturent au territoire le surcoût qu’entraîne un déplacement et un transport de marchandises sur l’île. De même, la concurrence est bien peu présente sur l’île, le surcoût est estimé entre 20% et 40% pour toutes les prestations.
B-Une démographie en constante régression entre exode et vieillissement
Depuis le début des années 60, et en rapport direct avec la diminution de l''activité sucrière, la population de Marie-Galante ne cesse de décroître, conséquence de l''exode massif qu’a connu l’île jusqu’aux années 2000. Depuis 2013 le nombre de décès devient plus important que celui des naissances. Ainsi la décroissance de la population de Marie-Galante se poursuit-elle, passant de 16 340 hab en 1962 à moins de 11000 hab en 2022. La densité de l''île est la plus faible de la Guadeloupe. Depuis 2014, décroissance est continue, avec une centaine d’habitants de moins par an.
Avez-vous eu le sentiment que des réflexions sérieuses étaient déjà engagées par les acteurs marie-galantais, pour un développement du territoire ?
Assurément, Marie-Galante est un territoire marqué par une longue histoire de coopération intercommunale depuis 1965. Créée au sein d’un syndicat intercommunal, la communauté de communes de Marie-Galante a vu le jour en 1994. C’est alors la première intercommunalité d’Outre-mer, prouvant par-là, le caractère novateur et inspiré des élus locaux. Puis, s’en est suivie la mise en oeuvre de plusieurs politiques territorialisées de l’État, en partenariat avec les collectivités et l’établissement public (Région, Département, CCMG) et l’Europe. Comme par exemple, la charte Pays, le contrat de ruralité, le programme européen Leader, plus récemment le contrat de relance et transition écologique (CRTE) ; une volonté du Gouvernement de soutenir la relance des territoires à l’échelle de l’intercommunalité après la crise sanitaire de 2020, le contrat de progrès pour les questions de l’eau et l’assainissement, le plan de gestion des déchets et à l’échelle régionale le contrat de Convergence et de Transformation (CCT). Face à cette situation de double insularité, la CCMG en étroite collaboration avec les services de l’Etat (Finances Publiques) en partenariat avec l’Agence Fran-çaise de Développement (AFD) a mis en oeuvre des actions vertueuses d’optimisation financière et de recherche de solutions adaptées.
• l’inscription des grands projets d’investissement de la collectivité au sein du Contrat de Relance et de Transition Energétique (CRTE), source d’importants financements des partenaires financiers (Etat, Région, Département).
• la réhabilitation de la zone d’activités de Grande-Anse, des travaux d’aménagement seront programmés en 2024 et permettront de mettre sur le marché un peu plus de 3 ha de foncier et la réalisation d’équipements artisanaux et industriels qui renforceront les bases fiscales et économiques du territoire.
• le développement des énergies renouvelables
• la poursuite de la professionnalisation et de la mutualisation des services à l’échelle de l’intercommunalité (RH, Fonctions supports, marchés, budget).
Quelle est votre analyse sur le déséquilibre manifeste, en termes de développement, entre la commune de Grand-Bourg, d’une part, et les deux autres communes, Saint-Louis et Capesterre ?
Grand-Bourg est la commune la plus importante démographiquement et constitue le siège de la communauté de communes. Aujourd’hui, les ambitions communes à tous les territoires de l’île se traduisent de manière transversale et opérationnelle dans la contractualisation, entre l’État et les collectivités territoriales. A Marie-Galan-te, ma mission avait pour but de conforter le projet de territoire dans une vision globale et concertée.
Ainsi, les trois priorités du CRTE, outil fédérateur ont permis :
- d’associer les collectivités territoriales, les acteurs socio-économiques, les associations et les habitants.
- d’accompagner la communauté de communes dans la mise en oeuvre de son projet de territoire vers un nouveau modèle de développement prenant en compte les enjeux actuels de transition écologique, énergétique, d’autonomie alimentaire et de cohésion territoriale.
- de traduire un nouveau cadre de dialogue et d’assurer la convergence entre le projet de territoire et les politiques prioritaires de l’État.
Eu égard à l’importance de votre mission, aviez-vous les moyens
et le temps nécessaires pour
mener à bien une mission d’une telle importance ?
La mission était limitée dans le temps. C’était certes une des données de départ. Placée auprès du préfet de région Alexandre Rochat-te, mon rôle a consisté à :
- mobiliser les compétences interministérielles de l’État tant au niveau central qu’au niveau local.
- faire converger les efforts financiers de l’État avec ceux des collectivités régionale et départementale en faveur du développement de Marie-Galante.
Si aujourd’hui la reprise de la dynamique est palpable à Marie-Galante et que l’on ressent une plus grande synergie entre les acteurs tant dans la filière canne, qu’en matière touristique dans la valorisation du patrimoine autour des moulins de Roussel-Trianon et Bézard notamment mais également dans la réalisation de projets d’hébergement touristiques, c’est en grande partie dû au désir de faire de l’ensemble des acteurs (publics et privés) et au retour de la confiance.
Il s’agissait d’une sorte de «mission d’accélération des projets» qui façonnent le projet de territoire de MG, que les collectivités et la population doivent élaborer et porter. Je n’avais pas l’ambition de le faire à leur place et c’est à eux, à travers le CRTE et toujours avec l’appui de la préfecture et de l’État de le continuer.
Avez-vous pu créer les conditions d’une collaboration efficiente avec les différents interlocuteurs, publiques comme privés, pour mener à bien les quatre missions de la feuille de route confiée par le Préfet de la Guadeloupe ?
Les nombreux déplacements et séjours effectués à Marie-Galante ont été mis à profit pour présider des réunions de concertation avec les habitants, pour rencontrer les porteurs de projets et les différents acteurs locaux toutes filières confondues.
Pour rappel, pour ce qui concerne la filière canne/sucre /rhum, moteur traditionnel de l’économie, à la suite de l’incident industriel survenu le 14 avril 2021, à l’unité sucrière de Marie-Galante, un comité technique a été mis en place pour assurer le suivi du protocole d’engagement signé le 15 mai 2021 avec toutes les parties prenantes: État (sous-préfet de Pointe-à- Pitre et DAAF), Région, Département, Communauté de Communes autour de 3 axes : la réparation et la modernisation de l’usine, le plan de redynamisation de la filière canne/sucre/rhum, la remobilisation des planteurs et le développement de l’île.
Durant ma mission, je me suis attachée à réinstaurer les conditions du dialogue entre les partenaires, ce qui a été l’un des points forts du bilan et mis en avant par l’ensemble des élus de l’île.
En effet, les réunions des groupes techniques dédiés au développement de la culture de la canne, à la remobilisation des planteurs à travers le plan de redynamisation, à la restauration des mares pour les besoins en eau pour les besoins de l’élevage et du maraîchage, se sont tenus en présence de tous les partenaires : SRMG, distilleries, SICAMA, Région, Département, communauté de communes, services de l’État, interprofession Iguacanne, CUMA, ETA… ce qui a abouti à la co-construction du plan de redynamisation présenté en août dernier à l’ensemble des partenaires.
Parallèlement, un plan de modernisation de l’usine porté par la SRMG a été engagé. Les élus et la collectivité régionale et la collectivité départementale pour le foncier sont résolument engagés à soutenir la filière et à accompagner les projets tant de l’usinier que de la Sicama.
Tous ces éléments sont de nature à redonner confiance à l’ensemble du secteur et des professionnels de la canne, du sucre et du rhum.
Quelles sont les priorités que
vous avez pu dégager pour
«sauver» l’économie du pays Marie-Galante ?
Marie-Galante est porteuse d’espoirs, contrairement à l’image qui est véhiculée ce n’est pas la belle endormie, l’île est en pleine dynamique. Elle n’est «pas à sauver», elle doit déterminer son projet de territoire, ambitieux, cohérent et partagé, pour les années venir. Les voies pour l’avenir sont celles du maintien de la filière canne/ sucre/rhum avec la modernisation de l’usine, le plan de redynamisation de la filière prévu sur les 5 ans à venir, la relance de l’élevage, le développement de l’agro-transformation avec la création proche d’un tiers-lieu nourricier porté par la SCIC de Marie-Galante.
À l’évidence, le développement du tourisme alliant authenticité, tradition et modernité reste l’un des secteurs les plus prometteurs autour du lancement prochain de deux chantiers de rénovation des sites emblématiques de Roussel-Trianon à Grand-Bourg et Bézard à Capesterre.
Des travaux publics sont en cours de finalisation un peu partout, (gare et la façade maritime, la halle aux poissons, le gymnase intercommunal de Grand-Bourg), l’organisation du mouillage de la baie de Saint-Louis, l’agri-voltaïsme de grand-bassin à Saint-Louis, un projet de GIEQ, l’innovation autour de l’agro-transformation au coeur du projet de tiers lieu nourricier, un Projet alimentaire du territoire porté par la SCIC de Marie-Galante pour assurer l’autosuffisance de l’île au plan alimentaire (il n’y a pas si longtemps Marie-Galante était considérée comme le grenier alimentaire de la Guade-loupe), la réinstallation d’une jeune chambre économique à Marie-Galante par de jeunes marie-galantais de retour sur l’île, sont autant de projets qui permettent de fédérer bons nombre d’acteurs locaux.
De leur côté, les élus marie-galantais pleinement et quotidiennement engagés dans l’amélioration du quotidien des habitants, se sont dits satisfaits du rôle de facilitatrice que j’ai pu jouer auprès des services de l’État que ce soit par exemple pour la sensibilisation à l’extension du Bouclier Qualité Prix (BQP+) aux îles du sud ou pour les dispositifs de gestion des sargasses.
A l’issue de votre mission, êtes-vous en mesure d’exprimer et de justifier votre espoir pour l’avenir du territoire marie-galantais ?
Outre, le maintien de la filière canne/sucre/rhum, la structuration du secteur touristique, autour des sites naturels variés et remarquables, de la valorisation du patrimoine lié au passé agricole de l’île, le nautisme reste aussi une chance pour Marie-Galante. Ainsi, la 4e édition du Rallye des îles du soleil avec une arrivée prévue après la route du rhum édition 2022, dans la baie de Saint-Louis offre de belles perspectives de réédition dans le cadre du développement de l’économie bleue.
De même, à terme, le projet de création d’un baccalauréat professionnel pour former de futurs aquaculteurs (es) au lycée polyvalent de Grand-Bourg offre des perspectives intéressantes pour les jeunes de Marie-Galante et de la Guadeloupe.
Au final, pour conforter le développement économique et le repeuplement dynamique de Marie-Galante, les efforts doivent se poursuivre en faveur du désenclavement aérien, maritime et numérique de l’île, ce sont les priorités de demain et tous les acteurs en ont pleinement conscience.
Pensez-vous qu’une telle mission serait opportune pour l’ensemble des îles du Sud ?
Les moyens mis par l’État ont été certes ponctuels mais ils ont permis de conforter le projet de territoire de l’île de Marie-Galante, le travail doit se poursuivre et d’ailleurs la CCMG a d’ores et déjà recruté un chef de projet pour la mise en oeuvre des actions du CRTE, financé à 100% par l’État.
Plus généralement, le suivi des priorités et des engagements pour Marie-Galante continuera avec tout autant de vigueur dans le cadre de l’interministérialité, grâce au travail d’animation mené par le sous-préfet de Pointe-à-Pitre territorialement compétent, le SGAR et les administrations déconcentrées de l’État sous l’autorité du préfet de région.
Pour les îles du Sud, de mon point de vue, c’est une logique semblable qui prévaudra