Interview de Gaby Clavier

Nouvelles-Etincelles a interrogé Monsieur Gaby Clavier, délégué syndical de l’UTS-UGTG au Centre hospitalier Universitaire Pointe-à-Pitre Abymes par le Collectif des organisations en lutte pour la réintégration des personnels de santé suspendus.

Les Nouvelles-Etincelles a désigné comme personnalité de l’Année en Guadeloupe «Les personnels de santé suspendus». Comment recevez-vous, ce choix du journal communiste ?
Gaby Clavier : Je pense que c’est une tradition que chaque année les différentes presses élisent des personnalités ou des organisations qui ont marqué l’année. Je pense qu’effectivement, avec l’année de combat que nous avons menée en Guadeloupe et qui se poursuit, cela représente une forme de reconnaissance à notre engagement par la qualité de nos mobilisations, la qualité des hommes et des femmes qui mènent le combat et tout un peuple qui a assuré toutes les formes de solidarités, culturelles, financières, alimentaires pour nous permettre de résister.
Cela fait maintenant plus de 12 mois que les personnels de santé suspendus sont interdits d’exercer leur profession parce qu’ils défendent leur droit à la vie.
Quel bilan faites-vous de cette longue lutte sur le plan humain, social, sanitaire et sociétal ?
Cela concerne le personnel salarié tous métiers confondus, administratifs, ouvriers, soignants, médecins, biologistes, des gens qui pratiquent la santé, la protection médicale, également la vaccination. Nous avons choisi de défendre la liberté de conscience, d’intelligence, de connaissance scientifique disponible pour tout le monde et de dire "Non".
Finalement, cela entraîne des conséquences sociales pour ceux qui ont fait ce choix, parce qu’ils se retrouvent aujourd’hui sans travail, sans revenu lié à leur activité, sans Assedic, sans mutuelle, sans aucune protection.
Ces gens ont perdu leurs ressources, leur maison, leur famille, leurs biens malgré tout cela, ils ont décidé de résister. C’est dans ces moments difficiles que l’on peut mesurer la qualité des rapports qu’on entretient avec sa famille, ses amis, son environnement.
Nous sommes en train de faire une expérience extraordinaire. Cela nous a permis de découvrir nos propres capacités dans notre vie au quotidien. Cela nous permet de revoir notre relation avec les gens qui nous entourent, de même cela nous permet de revoir notre mode de consommation, de revoir nos rapports avec nos enfants et de remettre en cause beaucoup de choses.
Je rappelle qu’en droit du travail, la suspension à durée indéterminée sans rémunération n’existe pas. La mise à pied est une mesure disciplinaire qui est appliquée quand le professionnel a commis une faute. Quand on est accusé, on doit être en capacité à être défendu. Il faut qu’il y ait un débat contradictoire avec celui qui accuse, bien évidemment, la personne accusée peut être sanctionnée ou pas selon ce qu’on l’accuse, mais cela a une durée limitée.
Dans la fonction publique en général, la suspension est une mesure conservatoire. La personne peut être suspendue en attendant la tenue de son procès dans un conseil de discipline, c’est après avoir franchi cette étape qu’une décision de suspension peut être prise, mais à durée limitée.
Or, les suspensions telles qu’elles ont été prononcées sont à durée indéterminée et ne sont pas à caractère disciplinaire. C’est un mépris pour le droit international basé sur les libertés. C’est le droit à la vie, le droit au travail, qui est un droit fondamental.
Les gens qui ont posé des questions ont été purement et simplement sanctionnés alors que c’est un sujet qui concerne leur vie. Quand on prend la maison des gens, leurs véhicules, leur formation, leur métier, que leur reste-t-il à prendre ? Sinon leur vie !
Malheureusement pour ces messieurs qui nous dirigent, ils sont tombés en Guadeloupe sur du roc. Ils font face à des hommes et des femmes qui ne se laissent pas manipuler, ils font face à un peuple vaillant qui dit «Non» à ces exactions. Ils sont dans l’embarras avec nous, c’est à se demander d’où nous vient notre capacité de résistance.
Devant le CHU, nous avons un «bik a nèg mawon», c’est un «bik de résistance». Comme cela a toujours existé depuis la nuit des temps, il y a des nègres qui dénoncent des «nèg mawon» alors que la lutte qui est menée est pour eux, pour garantir leur liberté.
Les Etats commencent à abandonner cette violence, que ce soit l’Italie, l’Espagne, les Etats-Unis, le Canada, Israël qui était l’exemple de la vaccination. Tous reconnaissent aujour-d’hui qu’ils ont été trompés. Certains médecins disent que ce n’était pas ce qu’ils avaient compris. Le seul qui maintient cette position, c’est l’Etat français. C’est un Etat criminel.
Le peu que nous représentons, avec la force de notre solidarité, nous disons «Non». Nous nous sentons bien dans ce que nous faisons. C’est vrai que nous souffrons, cela nous donne des maux de tête, nous avons mal dans notre corps, mais nous sommes bien parce que ce que nous faisons, c’est pour vous, pour vos enfants et pour les générations futures.
Quelle est votre analyse de la position du Gouvernement français qui s’oppose avec mépris à la réintégration des personnels suspendus en Guadeloupe alors que l’épidémie du Covid est maîtrisée et que les services de santé ont un besoin criant de soignants ?
Ces messieurs sont dans un projet politique de réduction de la masse salariale des travailleurs de la fonction publique, même en France. Les suspensions pour eux sont une aubaine pour mettre en place, les dispositions qu’ils ont prévues. Je rappelle qu’au mois de juillet et août 2019, deux lois fondamentales ont été votées : La transformation de la fonction publique et la transformation du système de santé.
Ces deux lois prévoient que les établissements de santé publique doivent se concentrer sur leur métier qui est les soins. Tout ce qui ne relève pas des soins, tout ce qui concerne des activités transversales, telles que la logistique, le traitement de linge, la production de repas, la radio analyse, le biomédicale, tout ce qui est informatique, tout ce qui est administratif, sera externaliser vers le secteur privé.
Dans leur projet de redressement financier au CHU, avant et après Gérard Cotellon, leur objectif est de réduire entre 500 à 1000 personnes.
Pour y parvenir, ils ont mis en place un dispositif réglementaire, une loi avec une série de décrets qui prévoient l’externalisation, la mutation d’office du secteur public au secteur privé et bien évidemment avec rupture conventionnelle pour ceux qui n’accepteront pas leur mutation.
Le 31 décembre 2019, c’est la première fois que nous avons vu apparaître une disposition de rupture conventionnelle avec barème de rémunération pour ceux qui accepteront la rupture conventionnelle. Donc, lorsqu’on nous le présente en janvier et février 2022 pour dire que ceux qui ne veulent pas se faire vacciner recevront 6 000 euros pour partir, ils font comme si on le découvrait.
Après la proposition plus qu’indécente du ministre des «Outre-mer» d’indemniser «grassement» les personnels suspendus pour abandonner leur profession et plus particulièrement le CHU quelle est votre lecture de cette crise sanitaire en Guadeloupe ?
Le Covid est une aubaine pour la mise en place d’un projet politique qui consiste à réduire la masse salariale, Jean-François Carenco nous l’avait bien dit, quand nous l’avions rencontré en juillet 2022. Ensuite, au mois de septembre 2022, il nous a dit qu’il ouvrait le principe du départ négocié, c’est une rupture conventionnelle, c’est-à-dire, un licenciement d’accord parties avec une majoration exceptionnelle des indemnités de départ.
Ce qui permettra à l’établissement de retourner à un équilibre financier. Le CHU, c’est plus de 50 millions de déficits annuel depuis des années. Ce sont aussi 150 millions d’euros de dettes fournisseurs. Si on met ensemble toutes les dettes des établissements publics de la Guadeloupe, on est à près de 100 millions d’euros chaque année.
Un fonctionnaire hospitalier représente 50 000 euros par an toute charges confondues. Le calcul est vite fait, en supprimant 1000 agents, cela représente déjà 50 millions d’euros d’économies par an. C’est cela leur objectif. Autrement dit, nous ne sommes pas surpris du fait que l’Etat soit arc-bouté sur sa position, parce qu’il a un projet politique, financier, économique et sociétal derrière.
Quand on voit notre représentation politique sur ces questions, ils sont sur la même ligne que le gouvernement français. C’est une défiance, un mépris, une sorte de sanction. Autrement dit, ces élus sont dans un accompagnement de l’Etat français par rapport aux solutions qu’ils nous proposent comme inciter les gens au départ, la rupture conventionnelle, et bien évidemment trouver un arrangement pour que les gens qui sont dans certains services qui ne relèvent pas des soins, continuent à travailler, mais pas dans un hôpital.
Que va-t-il se passer en 2023 ?
Comme nous l’avons annoncé au nouveau directeur général, il ne pourra jamais diriger le CHU si nous ne travaillons pas. Je peux vous assurer qu’il ne travaille pas, le CHU est mort.
Le plus souvent, ce sont des directeurs qu’on expatrie dans les colonies. Ils viennent pour 2 ou 3 ans perçoivent les 40% de vie chère puis s’en vont. Ils n’ont rien à faire avec ceux qui vivent sur le territoire.