Le colloque consacré à Jacques Stephen Alexis, un moment de grand bonheur !

Originaire des Gonaïves, en Haïti, Jacques Stephen Alexis (1922-1961) était un éminent écrivain, militant politique, médecin et essayiste dont l’oeuvre littéraire et théorique reste ignorée d’une majorité de Guadeloupéens en cette année 2022 marquant le centenaire de la naissance de l’auteur de L’espace d’un cillement, Compère général soleil, Romancero aux étoiles, Les arbres musiciens etc.

Adversaire farouchement opposé au régime dictatorial du Docteur François Duva-lier, président de la République d’Haïti, Alexis cet écrivain carrefour dont on reconnaît la contribution significative à l’avènement de la modernité littéraire haïtienne, n’est pas resté prisonnier d’un nationalisme vivifié par la rente de la dette : tout en assumant sa filiation, le médecin-neurologue et homme politique marxiste était profondément caribéen, anti-impérialiste, et acquis à la cause des pays sous-développés.
Dans le cadre des manifestations internationales organisées pour le centenaire de la naissance de Jacques Stephen Alexis, le Centre d’études et de recherches de Morne-à-l’Eau, en relation avec le CORECA et le soutien du Conseil départemental a proposé au public la tenue d’un colloque qui s’est tenu le samedi 10 décembre 2022 à la Résidence départementale, devant un parterre fourni constitué de gens du monde de la culture comme Ernest Pépin, Max Rippon, Alain Rutil, Maryse Romanos, Ronald Selbonne, Fred Deshayes, Jacky Dahomay etc, mais aussi d’enseignants, d’amoureux de la littérature et des arts tels Thélème Gédéon, ancien directeur du Crédit Agricole.
Présidé par le professeur Roger Toumson, le colloque qui s’est déroulé en présence de Florence Alexis, fille de «Jacques soleil» mais aussi essayiste et critique d’art, a révélé les dimensions multiples d’un homme, mort jeune, à travers ses aspirations pour une humanité caribéenne prospère et fraternelle.
Après que Qualito Estimé ait rappelé les manifestations organisées au plan international, dans le cadre du centenaire de la naissance d’Alexis, la dimension littéraire de l’oeuvre a été explorée dans un panel présidé par le professeur Christian Chéry, à la lueur des excellentes communications de mesdames Odile Hamot, Ella Daridan, Sandra Araminthe… qui ont été accueilles par un tonnerre d’applaudissements.
Il s’est agi ensuite, avec le panel structuré par Julien Mérion de mettre en avant la profondeur de l’engagement de Jacques Stephen Alexis, avec notamment Eddy Lucien qui évoquera Jacques Stephen Alexis, le politique.
Le colloque qui se voulait une ambition d’exploration d’une oeuvre littéraire confrontée aux grands défis qui nous sont posés dans ce siècle a fait l’objet d’un troisième panel présidé par Franck Garain, initiateur de la manifestation. L’universitaire Fred Reno a procédé à un état des lieux pendant et après Jacques Stephen Alexis en montrant les difficultés qu’il y avait pour la Guadeloupe d’établir une véritable coopération avec la Caraïbe dans les conditions actuelles de son statut. Madame Rose-Lee Raqui, Doc-teure en relations internationales a mis en avant la nécessité d’un volontarisme politique en relatant son expérience aux côtés de Madame Lucette Michaux-Che-vry, tandis que Rodolphe Mathu-rin démontrait combien demeurait vivant le rêve de Stephen Alexis d’une autre Caraïbe et d’un autre pays d’Haïti.
Concluant le colloque, Florence Alexis ne manquera pas de remercier la Guadeloupe et de dire combien cette façon toute particulière d’évoquer l’oeuvre et la personnalité de son père aura soulevé en elle une émotion, fort visible par ailleurs.
Elle documentera le public sur les conditions de création de chaque écrit d’Alexis et donnera lecture devant un auditoire attentif et retenu de la lettre que Jacques Stephen Alexis avait adressée à François Duvalier, dans laquelle il affirmait que «la désolante et pitoyable vie politicienne qui maintient ce pays dans l’arriération et le conduit à la faillite depuis cent cinquante ans n’est pas mon fait. J’en ai le plus profond dégoût…».
C’est avec la troupe du célèbre Har-ry Kancel, Pawol a nèg soubarou que se conclura cette belle journée, consacrée à cet enfant de la Caraï-be, arrière-petit-fils de Dessalines, dont la dimension romanesque et l’engagement anticolonialiste doivent nous interpeler tous par son humanité sincère.
Quand on regarde l’évolution du monde, les nouvelles stratégies qui se dessinent dans ce premier quart du XXIe siècle, l’oeuvre de Jacques Stephen Alexis, fauché en pleine jeunesse, son rêve inachevé d’un monde nouveau, nous invitent à être des frères du Compère général soleil. Au moment où la question de la couleur semble prendre le pas sur la question nationale telle qu’elle doit se poser réellement, et au moment où nos mémoires con-currentes mettent à mal notre désir de construire un vivre ensemble, ne serait-il pas possible de dire à l’instar d’Alexis que nous sommes, Latino-américains et Guadeloupéens jus-qu’à la moelle des os, le produit de plusieurs races et de plusieurs civilisations, constituant ainsi ce qui pourrait être un élément de réponse à la question lancinante du «que faire ?» en Guadeloupe.