Créer un Front national révolutionnaire

Il faut bien comprendre que, sans un front monolithe rassemblant tous les «autonomistes» guadeloupéens et jouissant de la confiance de tout ce qu’il y a d’honnête dans les différentes couches de la nation, sans un front sachant observer l’état d’esprit de la masse et in fluer sur lui, un front capable de mobiliser les ouvriers, les paysans, les intellectuels sur les mots d’ordre justes et de de les guider sur des positions saines, il est impossible de soutenir la lutte avec succès.
Nous sommes condamnés à nous entendre pour survivre et pour aller de l’avant si nous ne voulons pas disparaître en tant que nation. La tache urgente, essentielle est donc d’arriver à cette unité, à ce Front unique révolutionnaire.
Mais l’on doit comprendre que la création d’un Front national, uni, vrai et solide est bien entendu impossible, si la paix ne règne pas entre les tendances, si les arrières pensées, les erreurs d’appréciation, les vaines querelles, ne font pas place à un véritable esprit de compréhension, une volonté affirmée et sincère de donner congé à toutes les divergences mineures, toutes les restrictions mentales, de bien se mettre d’accord sur les perspectives dialectiquement définies pour une communion de tous les hommes guadeloupéens en la détermination d’en finir avec des siècles de misère et de honte, de mépris et d’exploitation.
Nous réussirons ce Front, dans la mesure où le peuple aura pris conscience de notre bonne volonté, de notre sérieux, de la justesse de nos positions, de la souplesse de notre action. Il est indispensable pour cela d’éviter toute prise de position sectaire, de bannir toute espèce de surenchère, tout extrémisme, qui pourraient heurter le sentiment de notre peuple, renforcer son incompréhension et nous aliéner une fraction plus ou moins importante de l’opinion. Nous devons nous attacher à faire taire les vaines querelles, les divergences dérisoires qui portent sur des concepts non affrontés à la réalité économique et sociale de notre pays. Nous devons en finir avec les divisions qui reposent sur des procès d’intention et des questions de personnes ; nous devons faire comprendre à certains que le moment est venu de laisser au «musée des horreurs héritées du colonialisme» les attaques démagogiques, les accusations mutuelles, injustes et gratuites, l’ostracisme et l’anticommunisme atrabilaires dignes des nuits coloniales.
Nous devons mener une lutte opiniâtre contre les forces et les traditions établies par la société coloniale, démystifier les naïfs et les crédules. Nous devons aussi, avec un soin jaloux, nous efforcer de combattre les tendances déviationnistes : le dogmatisme de gauche ou de droite, le défaitisme et le pessimisme, la recherche du compromis à n’importe quel prix, la sous-estimation de l’adversaire ou la surestimation de nos possibilités.
Nous devons condamner toute attitude de boutefeu et nous employer à calmer la fougue et l’impatience, certes compréhensibles, de certains de nos frères.
Germain Saint Ruff 1927 - 1987
(Chercheur en Science, Historien, Rédacteur en chef de la revue Marxiste «Le Boucan»
Prononcé le 8 juin 1963 - Publié dans la revue «Le Boucan» de janvier 1965