Rémy Nainsouta : le sens du pays, 10 octobre 1883 - 29 janvier 1969
A l’occasion du 54e anniversaire du décès de Remy Nainsouta il nous semble important d’inviter tous les Guadeloupéens qui oeuvrent dans le sens du pays à revisiter ou à découvrir sa pensée économique
Vétérinaire de formation, il a beaucoup travaillé à l’extérieur du pays, notamment à la Martinique et dans plusieurs pays africains. Cette migration a contribué à élargir ses connaissances et d’acquérir une expérience solide dans le mouvement de libération des peuples. Tout cela a forgé sa vision du développement des sociétés. A son retour en Guadeloupe, engagé en politique sous la bannière progressiste, proche des idées communistes, maire de sa ville de naissance Saint-Claude, de 1945 à 1965, il a mis tout son savoir et sa compétence au service de la justice sociale et de l’émancipation de l’homme. Il est devenu, selon la théorie du philosophe communiste Italien Antonio Gramsci, un intellectuel organique du prolétariat.
Au centre de sa réflexion se trouvait la question du développement endogène de la Guadeloupe. Dans l’un de ses discours, il a exposé en toute clarté le concept philosophique «Le sens du pays», ce que plus tard Rosan Girard, Cyril Serva ont développé. Il a dit : «Le développement économique repose sur l’amour du pays ; Sans quoi, il ne peut y avoir de progrès : Guadeloupéens de toutes origines, soyons unis dans l’amour de la Guadeloupe. (…) Il y a beaucoup de misères au milieu de ressources naturelles illimitées».
Conscient des atouts et potentiels du pays, il a fait d’importantes propositions dans les domaines du tourisme, du thermalisme, de l’agro-transformation, de l’industrialisation à partir de nos matières premières, de la coopération avec la Caraïbe.
Rémy Nainsouta était un compagnon de route des communistes guadeloupéens et à ce titre, il a eu l’honneur de présider la Journée des intellectuels communistes guadeloupéens le 22 février 1959.
Dans le discours d’ouverture qu’il a prononcé et qui mérite d’être vulgarisé, les interrogations qu’il a posées constituent un appel à penser notre propre développement, de rompre avec toute subordination, de prendre le chemin de la véritable émancipation de notre pays.
Soixante-quatre après, cette introduction garde toute sa pertinence.
Sa publication aujourd’hui participe de notre démarche d’éducation des masses pour marcher ensemble dans le sens du pays.
Discours d’ouverture de Rémy Nainsouta à la Journée des Intellectuels Communistes
Mesdames, Messieurs,
Chers camarades,
Appelé à présider la manifestation de cette Journée des intellectuels communistes, je remercie du fond du coeur les organisateurs du grand honneur qu’il m’ont fait.
Ma première pensée sera pour le pionnier à jamais regretté que fut notre camarade, mon grand amis Fengarol. Je tiens pour un devoir impérieux de demander à l’assistance d’observer en sa mémoire une minute de recueillement…
Maintenant que tous ceux qui ont contribué à la préparation de la fête reçoivent mes félicitations. Nos sincères remerciements à tous ceux qui répondant à l’appel sont venus apporter leur concours à notre succès. Il est à la Guadeloupe un paradoxe dont tous les bons esprits doivent être frappés. Il peut se traduire ainsi beaucoup de misères au milieu de ressources naturelles illimitées. Peu de pays sont aussi généreusement dotés par la nature ; la race créole n’est pas inférieure par l’intelligence à la moyenne de l’humanité civilisée. Notre sol se classe parmi les plus féconds. Alors ? D’où vient que dans son ensemble la population soit pauvre et insuffisamment éclairée. Pourquoi n’avons-nous pas en abondance des aliments frais, sains, bon marché ? Pourquoi manquons-nous de poisson quand la mer se voit de partout ? Pourquoi les demeures sont-elles si souvent misérables ? Pourquoi nos agglomérations sont-elles si peu coquettes, si peu salubres ? Pourquoi avec tant de rivières, tant de chutes d’eau, l’eau potable et l’énergie électrique à bon marché ne circulent-elles pas partout, dans tous les hameaux, dans toutes les campagnes ? Pourquoi manquons-nous de chemins de pénétration ? Pourquoi les communications avec les dépendances demeurent-elles encore si précaires ? Pourquoi parmi tant de sources thermales n’est est-il aucune d’accessible ou tout au moins de convenablement aménagée ?
Pourquoi, île si pittoresque au milieu d’un archipel étendu, aux portes de deux continents, la Guadeloupe ne possède-t-elle pas le moindre aménagement touristique ? Pourquoi nos relations de voisinage avec les îles environnantes sont-elles inexistantes ? Pourquoi nos écoles publiques sont-elles encore si insuffisantes ? Pourquoi l’enseignement professionnel et technique n’est-il pas plus répandu ? Pourquoi nos enfants sont-ils condamnés à devenir pour un petit nombre fonctionnaires, pour la grosse majorité manoeuvres ? Pourquoi si peu d’industries, pas même un four à briques ? Pourquoi enfin l’arène politique locale depuis soixante ans s’est transformée en une foire d’empoigne où la fraude électorale et la corruption sont tenues par les gouvernements pour pratiques régulières.
Mes chers camarades, vous vous proposez de scruter ces énigmes, de rechercher où sont les entraves, où sont les obstacles à notre progrès matériel, économique et social, et quand vous les aurez mis en lumière, de travailler rationnellement à les détruire, de lutter en un mot pour la véritable émancipation de notre pays. Je salue avec émotion cette belle initiative du Parti Communiste Guadeloupéen, je convie tous les hommes de bonne volonté à s’y associer. Je souhaite que ce 22 février 1959 demeure une date historique, l’ouverture de l’ère de la libération guadeloupéenne.
Chers camarades, je déclare ouverte la Journée d’études des intellectuels communistes guadeloupéens.