Le droit à la retraite : Parlons-en !

Après avoir été mise en sommeil pour cause de covid-19, la volonté gouvernementale, et plus précisément celle du Président de la République Emmanuel Macron, de réformer une nouvelle fois les dispositions de cette loi sociale, est repartie depuis plusieurs semaines.

Des bras de fer se sont engagés alors, avec les organisations syndicales, soumises ou consensuelles, avec les partis politiques, avec les parlementaires dont certains font parties de la majorité gouvernementale, et même avec la grande majorité de la population française, laquelle intègre dans son décompte, le peuple guadeloupéen.
Ces bras de fer se traduisent sur le terrain par des manifestations populaires répétitives, par des prises de paroles souvent mal maîtrisées à l’Assemblée nationale et au Sénat, obligeant même parfois, des parlementaires à demander des excuses admises ou refusées ou des présidents, à sanctionner pour impolitesse. Honteux ! Des tableaux qui ne peuvent que donner de très mauvais exemples à cette jeunesse à qui on voudrait tellement enseigner la bonne conduite et le respect.
LE PRINCIPE DE LA RETRAITE N’EST PAS UN DROIT CONQUIS
Ce que le peuple français en général et le peuple guadeloupéen en particulier doivent fondamentalement savoir, c’est que le principe de la retraite n’est pas un droit conquis mais l’initiative de certaines personnalités éprises d’humanisme, qui ont fait en sorte que ce droit soit finalement inscrit dans la Constitu-tion française

. Ce serait prétentieux d’envisager d’en faire l’historique dans ces colonnes, d’une architecture sociale imaginée par Colbert en 1670, pour recruter et fidéliser les meilleurs marins militaires, et qui s’est compliquée en plus de trois siècles d’existence, au point que seuls les technocrates gouvernementaux s’y retrouvent vraiment pour faire avaler la pilule des réformes aux travailleurs, par le biais de leurs organisations syndicales.
En France, ce système de protection a considérablement évolué avec toutes les autres dispositions sociales concernant la mutualité, les sociétés de secours mutuels, y compris la Sécurité sociale. Certaines dates et dispositions législatives ont suivi, dont :
- La création en 1790 de la Caisse de retraite des fonctionnaires de l’État
- La création en 1831 de la Caisse des retraites militaires
- L’organisation le 9 juin 1853 d’un régime de pension par répartition des fonctionnaires gérés par l’État et qui fixe l’âge normal de départ à la retraite à 60 ans et à 55 ans pour les travaux pénibles.
Sous l’influence de différents hom-mes d’Etat français ou étrangers, du patronat, des propriétaires d’usines et d’entreprises, cette architecture, tout en se finalisant, s’est complexifiée à outrance pour tenir compte de la pénibilité du travail, des catégories professionnelles, des bran-ches de métiers et aussi des attentes du patronat. Bismark en Allemagne et Lord Beveridge en Angleterre peuvent être cités dans ce processus. La retraite s’affirme donc de nature contractuelle.
LA RETRAITE PAR RÉPARTITION : OEUVRE
DE BISMARK
C’est en Allemagne que, sous la pression socialiste, Bismarck édifie de 1883 à 1889, le régime obligatoire de retraite par répartition, financé par les cotisations ouvrières et patronales.
Ainsi nait l’idée d’un droit à la retraite pour tous les salariés, qui prend corps avec la Loi du 5 avril 1910 créant les Retraites ouvrières et paysannes.
La Loi du 30 avril 1930 crée le premier régime d’assurance vieillesse obligatoire pour tous les salariés dont la rémunération annuelle ne dépasse pas 15.000 francs de l’époque.
En 1933, le Bureau International du Travail (BIT) préconise le financement des retraites par l’État, les patron

s et les salariés.
Il a fallu attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour qu’en France un ouvrier métallurgiste devenu ministre, mette en place un régime de retraite répondant aux attentes des travailleurs. Evidemment, ce régime a subi, depuis, beaucoup de soubresauts ayant conduit à des projets de réformes, tantôt rejetées sous la pression populaire, tantôt acceptées au forceps, dont la dernière tentative a été celle de 2008 avec le Président de la République Nicolas Sarkozy. Syndicats et travailleurs sont désormais très à l’écoute pour bien comprendre «à quelle sauce» l’Etat capitaliste voudrait les manger».
AMBROISE CROISAT :
Le père fondateur de la retraite
Né le 28 janvier 1901 à Notre-Dame de Besançon dans la Sa-voie en Fran-ce, son ap-prentissage dans la mé-tallurgie, dès l’âge de 13 ans, l’a con-duit au métier d’ouvrier industriel comme son père, avec une mère employée dans un tissage de velours.
De telles conditions sociales défavorisées allaient lui faire prendre conscience des souffrances des travailleurs de l’époque dans toutes les activités, sous le règne de ce que nous appelons aujourd’hui la «pwofitasyon». C’est donc tout-à-fait naturellement qu’il s’engage très activement dans la vie syndicale et politique. Sa foi, d’une part dans «l’Internationale communiste» et d’autre part dans l’action syndicale unitaire, l’a poussé à adhérer à la Confédération générale du travail (CGT) pour devenir en 1936 Secrétaire général de la Fédération unique des métallurgistes, alors qu’il s’est inscrit au Parti Communiste Français (PCF) dès sa fondation en 1920. Le voilà élu député de la Seine en 1936. Son parcours syndical et politique est si élogieux qu’il serait prétentieux de vouloir le présenter dans ces colonnes.
Trop engagé dans des actions retentissantes pour la défense des travailleurs, il va connaître des tribulations de toutes natures : déchu de son mandat de parlementaire en 1940, de ses droits civiques et politiques, emprisonnement dans 14 prisons et au bagne, dans une banlieue d’Alger. Il ne baissa jamais la garde au point de devenir à sa libération, membre de deux Assem-blées Constituantes, en 1945 et 1946, et de l’Assemblée nationale française de 1946 à 1951. Un combat époustouflant qui lui vaut d’être nommé ministre du Travail, du 21 novembre 1945 au 26 janvier 1946, par le Général de Gaulle, Président du gouvernement provisoire de la République. Ministre du travail et de la sécurité sociale du 26 janvier 1946 au 4 Mai 1947, il consacrera l’essentiel de son énergie à mettre en place la protection sociale, englobant l’assurance maladie, le système de retraites, les allocations familiales et à organiser la Sécurité sociale en application des ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, émanation directe du Conseil national de la Résistance. D’autres réalisations sont très marquées par l’oeuvre de ce syndicaliste communiste et, sans envisager l’exhaustivité, nous citerons : l’augmentation de 50% de la rémunération des heures supplémentaires, la suppression de l’abattement de 10% sur les salaires de la femme, la contribution à l''amélioration du droit du travail français en renforçant les comités d''entreprise, l''organisation et la généralisation de la médecine du travail, la législation des heures supplémentaires.
Décédé le 11 février 1951, il laisse en mémoire ces recommandations : «Jamais nous ne tolérerons que ne soit renié un seul des avantages de la sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie, cette loi humaine et de progrès…».
AU-DELÀ DES OCÉANS, AMBROISE CROISAT A ÉTÉ ENTENDU ET SON COMBAT POURSUIVI
Ce cri de guerrier social a été relayé avec bonheur à la Guadeloupe, ce qui a inscrit ses compagnons d’armes et ses fils spirituels, sur la liste des grands hommes et femmes ayant bâti la Guadeloupe, tant sur le plan social que sociétal.
Les noms d’Amédé Fengarol, Sabin Ducadosse, Félix Edinval, Gerty Archimède et tant d’autres communistes et syndicalistes de la Confé-dération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG), aujourd’hui disparus, font partie du patrimoine humain de la Guadeloupe. Il est impossible aux syndicalistes, aux politiques ou aux particuliers de ne pas les citer quand ils veulent parler de la Guadeloupe, sans démagogie, sur le plan social et sociétal. C’étaient des personnalités ayant le sens aigu de l’humain, de l’entraide. Outre-tombe, elles servent souvent de caution pour valoriser leurs promesses des campagnes électorales.
AMÉDÉE FENGAROL
Né le 30 mars 1905 à Capesterre de Guade-loupe, si-gnataire de l’Appel au peuple du Mouve-ment Com-muni

ste Guadelou-péen, le 30 avril 1944, il est mort le 11 janvier 1951, à Pointe-à-Pitre, dans un contexte troublant, quelques heures seulement après sa proclamation comme premier maire communiste de cette ville. Il participe comme conseiller général à la transformation de la mutualité en Sécurité sociale en Guadeloupe, après la deuxième guerre mondiale et en fut un des administrateurs aux côtés de Félix Edinval.
SABIN DUCADOSSE
Né en 1902, signataire également de l’Appel au peuple du Mouvement Communis-te Guadelou-péen, il fut un forgeron accompli tant dans le travail du fer que dans l’autoformation à la pratique de la lutte syndicale et politique, aux côtés de ses camarades de combat. Il a été aussi administrateur de la Caisse Géné-rale de Sécurité sociale de la Guade-loupe de 1948 à 1955 et a perdu la vie lors d’une mission pour cette caisse en Guyane, à la suite d’un accident de la route, en août de la même année.
GERTY ARCHIMÈDE
Née le 26 avril 1909 à Morne-à-l’Eau. Avo-cate et fem-me politi-que, militan-te communiste de la première heure, elle adhère en 1948 au Parti Communiste Français (PCF), ce qui lui permet de mener de très nombreux combats à travers le monde pour la défense des opprimés. Elle est élue députée de la Guadeloupe sous la première législature de la IVe République. Elle siège du 10 novembre 1946 au 17 avril 1951. Elle est décédée à Basse-Terre, le 15 août 1980. Son oeuvre est d’une immense richesse, tant sur le plan juridique que social. Entre autres conquêtes pour la Guadeloupe, il faut souligner que, militante féministe, elle crée en Guadeloupe une Fédération de l''Union des femmes françaises pour soutenir son combat, dans la revendication de l''application de la Sécurité sociale et du droit à la retraite pour les femmes de Guadeloupe. Son activité parlementaire est étroitement liée à la mise en place à la Guadeloupe des allocations familiales, après la loi de départementalisation pour les anciennes colonies d’Outre-Mer. Et pourtant, ni le peuple, ni même les politiques ne croyaient point en la réussite de ce combat qui était même dénigré.
QUE SERA DEMAIN AVEC LES VELLÉITÉS GOUVERNEMENTALES ORCHESTRES PAR EMMANUEL MACRON ?
La mise en garde, il y a 72 ans, du célèbre Ambroise Croisat, résonne encore légitimement sous les crânes. Il ne saurait être question de ne pas s’y référer. Cependant, ne serait-ce qu’au niveau de la Guadeloupe plus particulièrement, on ne peut pas non plus faire l’impasse sur le problème réel de la démographie, se traduisant selon l’Institut national de la statistique et des Etudes économiques (INSEE), par la baisse de la natalité, l’exode des jeunes en quête d’une insertion professionnelle et leur corollaire, le vieillissement de la population. Le planning familial, les méthodes contraceptives et les lois concernant l’interruption volontaires de la grossesse, depuis des décennies, ont fait leur oeuvre en matière de baisse de la natalité. En outre augmente sensiblement par bonheur, l’espérance de vie. Il en résulte qu’une réflexion sérieuse sur le principe de la retraite par répartition doit être menée en toute sérénité, avec tous les organismes sociaux et surtout avec les syndicats et les politiques pour garantir cette disposition de fin d’activité professionnelle, à ceux qui, demain, feront valoir leur droit. La jeunesse guadeloupéenne et plus particulièrement, les collégiens, lycéens et étudiants engagés dans ces revendications, doivent aussi sérieusement réfléchir pour «ne pas tuer la poule aux oeufs d’or».
Alors oui, on ne peut que revendiquer que, si réforme il doit y avoir, il faut parvenir obligatoirement à un consensus acceptable par les travailleurs, lesquels doivent toujours avoir une vision à long terme, pour leurs enfants et leurs petits-enfants. La Guadeloupe qui est obligée de compter par exemple sur des dons généreux de sang ou d’organes venus de l’extérieur pour secourir ses enfants doit tout mettre en oeuvre pour éviter une nouvelle forme d’assistance dans ce domaine qui pérenniserait sa dépendance. Et si, pour conclure, on disait tout simplement : oui à une réforme de la retraite mais, surtout pas à n’importe quel prix ? A la condition que le gouvernement écoute les travailleurs, écoute leurs syndicats, pour que le dialogue s’installe aussi longtemps qu’il le faudrait, afin de parvenir à un consensus.