Port-Louis : Le soulèvement du 30 avril 1943

C’est sous la direction de Rousseau Nadir que le soulèvement populaire du vendredi 30 avril 1943, à Port-Louis, a été préparé et mené, contre la gendarmerie du bourg. Le témoignage de Léon Erambert, décédé, nous dépeint un univers de privations sans lequel le «Mouvement» n’aurait pu mener cette action : «C’était le temps Sorin et les marins de La Jeanne faisaient régner la terreur dans le bourg. A 18h le couvre-feu était imposé. Mais, bien souvent les jeunes se réunissaient dans la savane Cocoyer et là ils discutaient de choses et d’autres […]. La situation vécue nous paraissait de plus en plus insupportable. Que faire ? Telle était la grande question[…]».
Il nous confia : «M. Vileroy qui, passait à bicyclette s’est écrié : C’est moi, «Vive le roi ka pasé !» (C’est moi le Roi qui passe !). Du coup les marins n’ont pas fait de quartier et ils lui ont tiré dessus, et il en est mort. Un dénommé Arsène a eu plus de chance, car des coups de feu tirés à travers la maison qu’il habitait a fait se retourner plusieurs fois les haillons de sa literie. Les jeunes vont retrouver une balle dans sa «literie» enroulée […] Le mouvement Pro-Patria avait organisé dans toutes les communes des groupes capables de passer à l’action dès le moment convenu. Toutefois, seules les communes de Capesterre et Port-Louis entrèrent en action. Ce furent, La Vaillante et l’Indomptable […]».
Le vendredi 30 avril 1943, partie de la savane Cocoyer, une foule forte d’une bonne centaine de personnes s’ébranle et marche vers le centre du bourg.
L’allure déterminée, ces Port-louisiens, femmes, hommes, jeunes et adultes foncent vers la rue Schoelcher où se trouve entre-autre, un bâtiment à un étage avec galetas, abritant quelques gendarmes. Cette action a été préparée. Il semble même que les initiateurs se soient assurés de la neutralité bienveillante d’au moins un des gendarmes de la place.
Quels sont les objectifs visés ? il s’agit d’une véritable insurrection, car il est question de contester violemment les méfaits des marins de la Jeanne, d’une part, mais surtout de s’emparer de la gendarmerie, ce 1943symbole de l’autorité vichyssoise, d’autre part. De fait, ces «résistants» participent à un vaste mouvement qui aurait été envisagé sur de nombreux points du territoire de Guadeloupe.
Qui est à la tête de ce soulèvement populaire en cette journée du 30 avril à Port-Louis ? Rousseau Nadir. La foule s’engage dans la rue Schoelcher et avance vers l’ouest, en direction du centre du bourg.
Certains ramassent des pierres, s’arment en quelque sorte, car il va falloir assiéger un poste militaire. Il est à noter que personne ne peut dire s’il y a des armes à feu au sein de la foule. Les voix résonnent de plus en plus fort… des slogans mêlés à des cris de femmes et d’enfants emplissent l’air… la gendarmerie est toute proche. Et voilà, la foule est devant le bâtiment ! Un court instant d’hésitation alors que se poursuivent les slogans. Brus-quement éclate un, «En avant !».
Alors, comme un seul homme, un groupe de manifestants se rue à l’entrée de la bâtisse, passe la porte emmurée de la clôture qui longe le trottoir ; alors que quelques-uns se retrouvent déjà dans une sorte de vestibule qui annonce des escaliers conduisant à l’étage, une détonation retentit rompant les cris et autres hurlements de la foule. Un jeune homme est frappé à mort. Il y a de nombreux blessés.
Henri Bangou écrivit à ce propos : «Au cours de cette entreprise, l’un des jeunes gens qui s’étaient introduits, fut tué d’un coup de révolver par un gendarme alerté. Il s’agissait du jeune Auguste Gène».
Rousseau Nadir et quelques autres responsables durent vivre dans la clandestinité. Le bourg de Port-Louis, d’Anse-Bertrand, le hameau de Massioux, entres autres, semblent avoir été des lieux de leur cachette.
La popularité de «Rousseau», à la suite de ces évènements était incontestable. Il symbolisait alors le courage, la détermination du «Nèg Monròk» de braver l’ordre établi et d’oser prendre les chemins inhabituels afin de cueillir les fruits de la liberté. Il apparaissait, tel le héros résistant, jeune et beau garçon : un mythe naissait. Son nom reste attaché à cet épisode valeureux de la lutte de la population port-louisienne contre le fascisme.
Et, en avril 1989, lors des barrages érigés, dans les rues de la commune par des «patriotes», contre l’arrestation de plusieurs militants, les gendarmes durent accompagner un taxi qui conduisait un vieillard, presqu’aveugle, disant vouloir se rendre dans le Port-Louis assiégé. Ce vieil homme qui avouait vouloir goûter à la ferveur populaire, c’était, Rousseau Nadir. Enfin, ne disait-il pas péremptoirement : «Sol lucet omnibus» (Le soleil luit pour tout le monde).
Ce moment de résistance, dans le bassin d’exploitation de la SAUB, ne fut pas sans conséquence sur les rapports sociaux. Les enquêtes diligentées par la direction de la société témoignent de l’intérêt particulier qu’a mis M. Denis à déterminer le degré de participation de tel ou tel ouvrier dans la manifestation. Une double sanction pouvait ainsi guetter certains port-louisiens. La répression militaire qui s’abat sur la population était doublée par la sanction économique : la perte du boulot !
5.2 - Un bouillon de culture «guadeloupéenne»
Cet acte de résistance s’est nourrit d’un bouillon de «culture guadeloupéenne» que nous percevrons dans de nombreux acte de l’époque et que nous ont rapporté des témoins. En l’occurrence, la société guadeloupéenne, par le fait de la guerre, est principalement en relation avec ses îles voisines, les plus proches : Dominique au sud, Antigua au nord, mais, bien plus loin encore Porto-Rico et même les Etats-Unis. Ces relations physiques enrichissent les idées inventives, la création sur tous les plans, dans les sections, les communes de l’archipel. Ainsi, voit-on, se développer l’artisanat, à tous les niveaux. Il y a une impulsion globale de la créativité. Ce qui a produit un sentiment paradoxal de sympathie et de rejet de «lépok an tan Sorin !».
Source/Crédit documentaire : Evolution d’un grand domaine sucrier dans la Caraïbe (XVIIIe - XXe siècle) Tome 2 - Le cas de Beauport à Port-Louis en Guadeloupe