Vers un nouveau «Contrat social»
Le destin du projet guadeloupéen proposé il y’a quelques années par le président Jacques Gillot et dans le cadre d’un de ces fameux congrès doit nous interpeller. La méthode de concertation populaire proposée alors était bonne mais le projet n''a pas franchi le stade de la concertation citoyenne aboutie pour aller jusqu''à celui de l’application politique concrète.
Au-delà des raisons politiques de l’inachèvement du processus, on peut s’inspirer de la méthode et estimer que toute nouvelle tentative d’évolution institutionnelle et à fortiori statutaire doit s’ancrer sur une base de consentement populaire. Les élus ne cessent de le rappeler voire de l''agiter en épouvantail opportun. C’est néanmoins avec la participation effective et surtout active de la population et de ses diverses institutions représentatives que l’on peut éviter que les contingences politiciennes ne brisent l’élan nécessaire de la transformation. Les guadeloupéens doivent pouvoir participer totalement et jusqu’au bout aux choix d’évolution politique qui seront fait en profitant de la période de concertation prolongée pendant les six mois à venir jusqu''au prochain congrès. Il appartient à la société civile de mieux s''organiser en force de proposition autonome et de structuration, puis de cons-truire les passerelles avec les élus pour que rassemblement rime enfin avec aboutissement. La seule (et utile) démarche de réflexion des élus de la Guadeloupe réunis en congrès ne suffira probablement pas pour élaborer un projet d’évolution partagé par la majorité des guadeloupéens et ce, quel que soit la direction choisie au final : statu quo actuel, assemblée unique (avec ou sans collectivité unique), autonomie avec statut de pays et territoire associé...Plusieurs choix possible d''un nouveau pacte de fonctionnement républicain entre notre peuple et son archipel et la France hexagonale et européenne.
Nous sommes à une heure où la fracture territoriale révèle un échiquier politique sur lequel le Rassemblement National de Marine Le Pen met «échec et mat» l’ensemble des formations politiques locales et nationales en Guadelou-pe. Nous vivons un moment où la concurrence territoriale manifeste ouvertement le manque de solidarité au sein des intercommunalités. Nous évoluons dans un contexte où le désengagement territorial de l’Etat auprès de ses collectivités locales rend incertaine toute définition de politique publique ambitieuse. Nous assistons depuis des décennies à la domination et au diktat souvent rudes des services déconcentrés de l''État et de ses agences à l''égard des élus locaux. Et nous avons assister il y''a quelques temps à un véritable Atlantide territorial avec deux collectivités dépassant, avec plus de 70 millions d’euros, pour l’une un déficit record (Pointe-à-Pitre) et pour l’autre une dette record (Sud-Caraibes).
Devant une telle situation, le citoyen guadeloupéen est en grande défian-ce devant l’action des élus et il s’organise de plus en plus pour prendre part au débat public. Le localisme prend fort heureusement de l’essor. De nombreuses organisations et mouvements citoyens fleurissent sur le territoire et prennent à bras le corps des questions irrésolues ou dans l’impasse qu’il s’agisse de l’eau, de la violence, de l’autosuffisance alimentaire, de la culture, ou du chlordécone etc… Il faut que les élus entendent ce bourdonnement constructif. Il conviendrait donc que la place accordée à la société civile sur le sujet de l’évolution des institutions soit plus forte et plus décisionnelle. Mais il appartient aussi à cette société civile de s’organiser pour proposer et construire un projet politique qui ne serait pas forcément alternatif mais additif.
Le prochain congrès des élus va certainement générer à nouveau des éléments de diagnostic territorial, des propositions en matière d’extension de compétences règlementaires ou nouvelles, voire peut-être même une fusion des deux collectivités majeures et la redéfinition du nombre d''intercommunalités sur notre territoire. Mais tout cela restera une question de contenant...le compte n''y sera pas, surtout si ce n''est qu''un congrès d''élus.
Le fond de ce type de débat est en réalité toujours limité et lié aux intérêts politiques représentés dans le congrès et qui ne sont d’ailleurs plus forcément majoritaires dans l’opinion. Alors allons plus loin que la définition du seul contenant et traitons le contenu ! Voyons plus loin que le seul intérêt fiscal, financier, et juridique ! L’évolution institutionnelle est un enjeu également sociétal et la société doit être entreprenante et sollicitée pour y prendre part. Sur ce postulat, il faudrait suivre une méthode plus cohérente et indépendante du calendrier national de réforme constitutionnelle pour sortir de l''impasse socio-économique dans laquelle nous sommes.
Au-delà et en plus du diagnostic économique et fiscal très clair présenté par plusieurs travaux dont ceux du CIPPA, il faudrait d''abord établir un diagnostic institutionnel territorial conséquent (évaluation par des experts indépendants des politiques publiques locales depuis 10 ans), puis mettre en place l''élaboration par une agora (assemblée représentative) de citoyens (ex-perts, élus, associatifs, jeunes, universitaires etc...) d''un projet de développement endogène sur la base du diagnostic économique et du diagnostic institutionnel, suivie d'' une consultation publique et populaire organisée par la société civile pour valider un nouveau contrat social démocratique guadeloupéen qui définira le périmètre et la densité des compétences, des institutions et des pouvoirs nécessaires en Guadeloupe.
Les parlementaires et des représentants de cette agora proposerait ensuite à l''exécutif français le projet et le planning qui conviendrait. Il faut quoi qu''il en soit et quoi qu''il nous en coûte plus de volontarisme et de participation citoyenne, plus de méthode et de concertation, plus de localisme et d’autonomie, plus de confiance en nous, plus de projection dans l''avenir et de prospective, plus de lyannaj et d''unité, plus d''ouverture à notre environnement insulaire proche et surtout dépasser les limites que nos croyances institutionnelles nous imposent depuis trop longtemps.
Essayiste et Poète