Lever des tabous autour de la sexualité

Sexothérapeute en Guadeloupe depuis deux ans, Mélanie Jacobin accompagne avec écoute, douceur et partialité les personnes désireuses d’échanger sur des sujets liés à l’intimité et esquisse des pistes de réflexion avec elles. Surprise par le fort engouement autour de sa profession, elle a su développer son activité en pleine conscience des besoins et des attentes de l’île papillon.

Votre métier peut en surprendre plus d''un surtout dans une société guadeloupéenne qui reste encore très pudique. Comment vous êtes-vous destinée à cela ?
Par pur hasard ! Depuis toute petite, je suis fascinée et amoureuse de la mode ! Vous vous dîtes, où est le rapport ? A 20 ans, j’ai étudié le design de mode en Italie où je me suis spécialisée sur la conceptualisation des sous-vêtements. J’avais le souhait de dessiner des vêtements qui apporteraient du confort pour les femmes dans toutes les situations. Puis, en 2019, ma mère qui est thérapeute, m’appelle et me parle d’une formation de sexothérapie qu’elle trouve fascinante et qui pourrait totalement correspondre à ma personnalité et à mon audace. Elle me convainc et je me forme en parallèle. Par la suite, décroche une opportunité professionnelle en qualité de designer de mode en Australie en janvier 2020. Quelques semaines après, le monde est confiné et je me retrouve à Bali pendant cinq mois. Les frontières sont fermées mais, là-bas, la vie continue et je ressens le besoin de la population d’évacuer certaines problématiques qui reviennent à la surface pendant cette crise sanitaire. En effet, dans les pays anglo-saxons, la sexualité est beaucoup moins tabou qu’en France et le fait de côtoyer des personnes si ouvertes d’esprit m’a libéré dans cette discipline de sexothérapeute et m’a donné con-fiance en mes compétences pour accompagner les gens vers un certain lâcher prise. Lorsque je suis revenue en Guadeloupe à l’été 2020, je me sentais prête à me lancer dans cette nouvelle voie mais mon île était-elle disposée à m’accueillir ?
Alors ? Que furent les premiers retours ?
Tout est allé incroyablement vite, c’est fou ! J’ai eu la sensation que les Guadeloupéens étaient beaucoup plus ouverts que je l’avais imaginé. D’ailleurs, les premiers patients ont afflué rapidement. J’ai eu la sensation que tout le monde attendait que l’on mette enfin la sexualité au coeur des discussions car nous vivons dans une culture hyper sexualisée. L’impact de celle-ci sur nos comportements est beaucoup trop important pour regarder ailleurs. Nous avons des problématiques conséquentes sur notre territoire et il était temps de mettre un coup de pied dans cela…
C’est-à-dire ? Pensez-vous qu’il y ait des tabous et non-dits qui bloquent la société guadeloupéenne ?
Bien sûr ! Nous avons développé une culture familiale qui protège, selon moi, les prédateurs sexuels. Il ne faut pas être bête pour savoir qu’il existe des cas d’inceste dans de nombreuses familles et qu’il est, aujourd’hui, difficile d’affirmer au grand jour ce type de comportement... Cet inconfort et ces secrets ont un réel impact sur notre santé mentale et sont, parfois, à l’origine d’autres déviances. Il faut rompre ce cercle vicieux. Il y a de l’inconfort dans la sexothérapie mais il n’est qu’éphémère. Nous avons besoin de passer par des étapes désagréables pour tendre vers un bien-être…C’est mon travail d’être la plus disponible dans ces cas-là.
Vous semblez très ouverte à la discussion. Comment faites-vous pour orienter vos patients sans jugement ou malaise ?
La sexualité est un champ de réflexion très large et je vous confirme que mon écoute et ma patience sont soumises à rude épreuve. J’essaie alors de casser les barrières existantes en rendant mes conseils et mes séances accessibles. Sur mes réseaux sociaux et notamment via mon podcast Conversa-tions sur l’oreiller, j’utilise beaucoup l’humour pour faire passer des messages, peut-être dérangeants ou déroutants, mais je veux créer une simplicité d''échanges avec mes patients ainsi qu’avec ma communauté. Il est essentiel que je me sente libre de pouvoir évoquer divers sujets, comme le choix d’orientation sexuelle, la dépression post-accouchement ou encore l’infidélité. Ce sont des problématiques de société sur lesquelles je me sens apte à communiquer et, à terme, j’ai le souhait qu’on le soit tous.
Comment voyez-vous évoluer votre profession et vos interventions ?
Je suis déjà très fière de pouvoir exercer mon activité en toute liberté. Je reçois beaucoup d’ondes positives et je mets de côté les plus réticentes. J’avance au rythme de la Guadeloupe et j’avance selon ses besoins. Ma liberté d’expression est bien présente même si elle reste encore quelque peu limitée. Je respecte la sensibilité de chacun à pouvoir évoquer tel ou tel questionnement intime. A mon sens, je souhaiterais aussi que la jeunesse puisse s’ouvrir davantage. Elle est déphasée par tout ce que l’on vit depuis trois ans et elle a perdu ses repères. J’aimerais pouvoir intervenir dans les collèges et lycées et créer des groupes de paroles pour les aiguiller dans leur vie sentimentale. On a tendance à oublier qu’elle joue un rôle primordial dans l’épanouissement personnel et permet de prendre davantage confiance en soi.
https://www.melanie-jacobin.com/