Don d’organes, le besoin d’en parler

Le 22 juin se déroulait, comme chaque année, la journée nationale du don d’organes et de la greffe et de reconnaissance aux familles de donneurs. A cette occasion, le Centre hospitalier universitaire de Guadeloupe (CHUG) s’est mobilisé. Le Docteur Roland Lawson, médecin coordonnateur du prélèvement d’organes et de tissus, et son équipe ont diffusé un message informatif et mobilisateur autour de cette cause déterminante pour l’avenir de nombreux malades guadeloupéens.

Vous êtes chargé de gérer le seul site préleveur du département. Quelle est l’importance de communiquer autour de ce sujet ?
En qualité de médecin réanimateur au CHU, je suis confronté à des situations d’urgence où je dois apporter une explication claire et factuelle aux familles concernant le don d’organes quand leur proche est en état de mort encéphalique. Mais cela ne s’arrête pas aux murs de l’hôpital. Nous mettons régulièrement en place des campagnes de sensibilisation pour présenter l’information à un plus large public. Collèges, villages santé, médias, nous prenons le temps d’évoquer ce message universel ; nous sommes tous donneurs à partir du moment où nous n’avons pas fait part notre opposition de notre vivant. Les Guadeloupéens sont des personnes généreuses mais elles sont aussi frileuses face à un don qui leur paraît encore complexe émotionnellement. Nous sommes disposés à écouter leurs interrogations et à y répondre.
Comment présenter le don d’organes sans que celui-ci effraie ?
Nous sommes tous présumés con-sentants si nous n’avons pas évoqué de refus au préalable mais cela reste un choix personnel. Nous n’intervenons pas à ce niveau, nous ne jugeons pas et nous respectons chaque volonté. Ce qui est certain c’est qu’il est essentiel d’aborder ce sujet dans les familles et qu’ainsi tous puissent exprimer leur souhait si demain l’un d’eux venait à être en mort cérébrale. Cela rendrait l’entretien avec les proches moins douloureux lors de l’abord du don d’organes. Les études montrent que 80% des personnes sont favorables au don d’organes mais seulement 47% d’entre elles ont informé leurs proches. Des directives anticipées sont une façon de faire connaitre son opinion. De plus, si une personne refuse d’être considérée comme donneur, elle peut s’inscrire sur le Registre National des Refus (RNR). Dès qu’un donneur potentiel est en réanimation, nous sommes dans l’obligation d’interroger ce registre avant tout entretien avec les proches. En outre, depuis 2017, il est possible de signaler sur le RNR un refus total ou partiel (certains organes pourront ou non être prélevés) et l’on peut modifier sa décision à tout moment. C’est une vraie amélioration dans l’accès à la greffe.
Dans quelles circonstances peut-on être disposé à donner nos organes ?
Nous pouvons entamer le processus lorsqu’une personne est en état de mort encéphalique (suite à un traumatisme crânien, un AVC ou un arrêt cardiaque récupéré) défini par la destruction isolée et irréversible des centres nerveux intracrâniens. L’activité cardiaque et respiratoire sont maintenues de façon artificielle. Il faut agir rapidement avant que les organes ne se détériorent. L’annonce aux familles est un moment délicat et car nous savons que la question du don d’organes est également une source de peine. Par ailleurs, nous devons réaliser en urgence une série d’examens pour vérifier le bon état de santé du défunt et ceux qui permettront d’évaluer la compatibilité avec les receveurs avant la greffe. Ce sont des étapes très rigoureuses régies par les règles de bonnes pratiques en matière de prélèvements à des fins thérapeutiques. En Guadelou-pe, nous prélevons uniquement les reins qui sont transplantés au CHU de la Guadeloupe ; les greffons pouvant provenir aussi de la Martinique de la Guyane et de l’Hexagone. En effet, cet organe peut être transplanté dans les 24 à 36 heures qui suivent mais sa qualité sera meilleure plus ce délai est court. Or, un greffon cardiaque doit être transplanté dans les 4 heures suivant le prélèvement et un greffon pulmonaire dans les 8 heures. Du fait de notre insularité et de notre éloignement géographique de l’Hexagone, nous ne pouvons pas faire ce type de prélèvement. Nous privilégions le don de reins qui répond notamment à un besoin croissant du territoire. En effet, de nombreux Guadeloupéens souffrent d’insuffisance rénale chronique terminale et sont dialysés trois fois par semaine, depuis des années. Cer-tains attendent avec impatience un don, qui pourrait améliorer leur qualité de vie.
En écoutant vos mots, on ne peut qu’être volontaire, non ?
Non, car il y a une part de ressenti propre à chacun. D’ailleurs, il y a une méconnaissance et une appréhension du don de manière générale. Le don du sang connaît aussi des réticences. Ce n’est pas encore entré dans les moeurs... On veut conserver l’intégralité de son corps coûte que coûte. Culturellement, notre corps nous appartient jusqu’au bout mais dans quel but. Il y a également une appropriation du corps du défunt par la famille. Pendant la pandémie de la Covid-19, le taux de refus en Guadeloupe était entre 50% et 60%. La méfiance de la population à l’égard du milieu hospitalier en rapport avec la gestion de la crise sanitaire est une des causes possibles. Depuis janvier 2023, on assiste à une diminution du taux de refus qui est de l’ordre de 33%. Nous devons faire évoluer les mentalités. Comme on dit en créole, «Apwé lanmò, sé ti bèt». J’ai foi que le temps fasse son oeuvre… Aujourd’hui, nous avons environ 200 patients Antillo-Guyanais en attente d’une greffe rénale inscrits sur la liste Antilles-Guyane. Nous devons aussi penser à eux. De plus, la greffe rénale peut se faire également à partir d’un donneur vivant (parent, conjoint, ami proche). Ce sont des avancées technologiques et éthi-ques conséquentes qui nous permettent d’envisager une augmentation du taux de greffes. Nous comptons d’autant plus sur la solidarité et la générosité des Guadeloupéens.