Le tout premier dictionnaire des Caraïbes

La journaliste Caroline Bourgine a publié, début juin, un ouvrage intitulé «Dictionnaire des Caraïbes, un itinéraire poétique». Fascinée par la richesse des langues de cette région, elle y compile un certain nombre de mots et s’attache à expliquer leur signification avec la vocation de relier les histoires, les époques et les géographies des territoires entre eux.

Vous êtes journaliste en Guadeloupe depuis près de 40 ans, quel était votre souhait en vous lançant dans un tel projet ?
Caroline Bourgine : C’est une envie lointaine que j’ai pris le temps d’assouvir. Ce dictionnaire est le fruit d’un long travail journalistique qui m’a pris 7 ans. Lorsque je travaillais pour France O (Caroline Bourgine a également été journaliste pour RFI, France Culture, France Musique, France Inter), j’animais une émission, Latitudes Caraïbe, où je m’amusais à décliner et à définir des mots de la Caraïbe.
Que ce soit des mots français, créoles, anglais ou espagnols, l’idée était d’enrichir nos connaissances dans le vocabulaire usuel de la Caraïbe continentale et insulaire. J’ai eu envie de poursuivre ce travail et de donner une unité et un socle commun à ces langages à travers un dictionnaire ! Inédit, c’est un véritable travail de recueil d’informations, un travail totalement subjectif et sans ambition didactique ou pédagogique mais j’espère tout de même que les lecteurs prendront plaisir à voguer à travers l’histoire des mots de notre territoire

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Qu’avez-vous appris et découvert en écrivant ce dictionnaire ?
J’ai surtout pris la pleine conscience de l’importance de voir les Caraïbes comme un ensemble ! La Caraïbe a cette géographie naturelle commune mais elle n’a pas que cela… Il faut voir au-delà des ressemblances de premier plan. De l’Amérique centrale aux Antilles françaises, la Caraïbe est un tout qui possède des liens très forts et que l’on retrouve dans l’étymologie des mots.
Beaucoup se ressemblent et beaucoup ont des fondements communs. D’ailleurs, la richesse et la complémentarité des ouvrages des auteurs de la région le démontrent. Il y a une singularité dans ce petit monde qui résonne au-delà des questions géopolitiques. Tout fait sens lorsqu’on se plonge dans l’histoire d’un vocabulaire, celui-ci même qui explique des évolutions culturelles et historiques. J’ai souhaité mettre en lumière des faits et des événements, parfois passés sous silence, pour créer une convergence qui ne serait pas compartimentée comme on a tendance à le faire. J’ai souhaité également être rigoureuse sur les informations que je déploie car je ne sais pas quelle sera la destinée de ce livre…
Je n’ai pas pu tout répertorier mais j’ouvre une porte aux chercheurs et universitaires qui auraient le désir d’aller plus en profondeur à l’issue mes recherches. C’est un vrai parcours de gymnaste à emprunter pour appréhender anecdotes et définitions que j’élabore. J’espère que ce dictionnaire pourra éveiller des questionnements et démontrer toute l’affection que je porte à la Caraïbe et notamment à la Guadeloupe.
Parlez-nous de ce coup de coeur pour l’île papillon.
Je suis arrivée en Guadeloupe dans les années 80. J’ai suivi l’amour et c’est finalement pour la Guadeloupe que j’ai eu un coup de foudre ! C’était une période extrêmement créative avec une jeunesse remplie de ressources et de curiosité. L’accueil chaleureux qui m’a été offert m’a enthousiasmé et j’ai commencé à comprendre doucement le fonctionnement de cet archipel. D’ailleurs, ce dictionnaire est aussi un hommage à un tropisme guadeloupéen cher à mon coeur. La langue créole est si perméable que je me suis naturellement liée à elle.
Aujourd’hui, quarante ans plus tard, je suis quelque peu inquiète pour ce territoire. Je sais que la nature gouverne notre monde et encore plus cette région de la terre. La force des Caraïbes est de savoir se relever face à toutes les catastrophes naturelles, on l’a vu par le passé, ce n’est donc pas pour cela, mais je reste amère sur bien d’autres points. La circulation des biens et des personnes reste bien trop complexe et onéreuse. De plus, les problèmes structurels et la lenteur des évolutions institutionnelles freinent le développement. Vous vous rendez compte que la création de l’Université des Antilles date de 1980…
C’est bien trop tardif. De plus, le vieillissement de la population est une source d’angoisses mais on semble regarder ailleurs... C’est dommage car je suis certaine qu’en mobilisant les troupes de la Caraïbe on pourrait faire converger toutes ses forces. Seule, la Guadeloupe n’y arrivera peut-être pas mais, avec la Caraïbe, on pourrait, selon moi, esquisser un mode de vie totalement novateur.
Dictionnaire des Caraïbes, un itinéraire poétique Edition Caraibeditions, 21,50 €