RÉFORME SOCIALE OU RÉVOLUTION ?

Au moment où la crise du capitalisme arrivé à son stade impéria- liste détricote les sociétés occidentales et contraint les néo-écono - mistes et néo-philosophes qui n'ont pas cessé depuis plus de vingt ans de danser sur le «mur de Berlin» la bave à la bouche à ravaler leurs prétentions, il nous semble opportun de publier dans notre rubrique «Parlons V rai» cet article d'un communiste français Jules Legendre qui renvoie à un texte de Roxa Luxembourg, véritable classique du Marxisme, qui garde toute son actualité.

A la fin du XIXe siècle, le Parti Social- démocrate Allemand (SPD) était l'orgueil de la IIe Internationale. Fort de plusieurs centaines de milliers de membres, il organisait et éduquait la clas- se ouvrière de l'Empire d'Allemagne par des centaines de canaux différents : des journaux (plusieurs quotidiens et hebdomadaires), des syndicats, des associations de femmes, des écoles ouvrières ou encore des clubs sportifs ouvriers. La base théorique qui gui- dait son action, du moins officiellement, était le socialisme scientifique développé par Marx et Engels. Malgré cette référence théorique, il exis- tait au somment du SPD un courant infor- mel qui poussait le parti vers une adapta- tion aux institutions de l'Etat bourgeois. Il y avait un écart croissant entre la théorie révolutionnaire et la pratique réformiste. Dans plusieurs Etats d'Allemagne, certains députés du SPD allèrent jusqu'à voter les budgets, alors que l'opposition systématique au budget était une tradition au sein du mouvement socialiste. Ce courant, dit «opportuniste», se caractérisait surtout par sa pratique qui, bien que contraire à la ligne du SPD, n'était pas combattue par la direction. Ce n'est qu'en 1897 que le dirigeant Eduard Bernstein publia une série d'articles visant à donner une base théorique au réformisme et à faire éclater la contradiction entre théorie et pratique. Cette publication provoqua une levée de boucliers aussi bien dans l'aile gauche du SPD que dans sa direction, où certains reprochèrent à Bernstein «d'avoir parlé de choses que l'on devait faire en silence».Parmi les rponses théoriques aux idées de Bernstein, celle de Rosa Luxemburg est la plus solide et la plus intéressante. Née en Pologne en 1871, Rosa Luxemburg était alors une jeune militante de premier plan au sein du SPD. Elle collaborait régulièrement à la presse social-démocrate et enseignait l'économie politique dans une des écoles du SPD. Son ouvrage Réforme sociale ou Révolution ?, publié en 1898, est une critique percu - tante des thèses de Bernstein en même temps qu'un rappel de ce qu'une poli - tique marxiste correcte doit être. Bernstein prétendait par exemple que le capitalisme s'était « adapté » et avait réus- si à enrayer le cycle des crises, notamment grâce au crédit. Il en concluait à l'impossibilité de futures crises économiques et la nécessité, pour le socialisme, de se réaliser graduellement dans le cadre du capitalisme. Rosa Luxemburg lui répondit que le crédit n'est en fait qu'un moyen de repousser temporairement les crises en injectant artificiellement de l'ar - gent dans le processus de production. Rosa Luxemburg rappelle aussi que les crises ne sont pas une anomalie du système capitaliste, mais une de ses compo - santes les plus indispensables, car elles lui permettent de régler \drama- tiquement pour la classe ouvrière\) les problèmes de surproduction en détruisant des forces productives. De la même façon, Bernstein voyait dans les organisations patronales (qui visaient à «organiser» la concurrence en coordon- nant la production dans une branche d'in- dustrie donnée\- narchie générée par la concurrence entre les capitalistes. Il imaginait qu'elles se généraliseraient et harmoniseraient la pro- duction économique. En fait, ces accords entre patrons ne peuvent se faire dans une branche d'industrie qu'au détriment des autres et en allant chercher à l'étranger le profit qui est réduit sur le marché inté- rieur. Un capitalisme sans crise ou sans anarchie dans la production est donc impossible. Et s'il l'était, la nécessité d'un passage au socialisme disparaîtrait. Rosa Luxemburg démontre l'impossibilité d'arriver au socialisme par le seul moyen de réformes sociales graduelles. D'après les opportunistes, il serait possible de res - treindre petit à petit les droits de propriété des capitalistes, jusqu'au jour où, cette propriété ayant perdu toute valeur à leurs yeux, ils se la laisseraient enlever sans résistance. Il oublie ainsi deux choses : premièrement, que l'Etat est au service de la bourgeoisie et non de la classe ouvriè - re ; deuxièmement, que la bourgeoisie peut et va se défendre si l'on attaque son droit d'exploiter «ses» travailleurs. Les réformes sociales consenties par l'Etat bourgeois sont en fait, pour les capitalistes, un moyen d'acheter la paix sociale, en amadouant la classe ouvrière. Rosa Luxemburg rappelle qu'aucun marxiste conséquent n'est opposé aux réformes immédiates, bien au contraire, mais que pour autant il n'abandonne pas la per - spective et la nécessité de la révolution socialiste. Pour le marxisme, la lutte pour les réformes sociales est avant tout une école pratique grâce à laquelle la classe ouvrière apprend à lutter et prend cons- cience desa force. Cet apprentissage étant indispensable à la victoire d'une révolution socialiste, il est absurde d'opposer les réformes immédiates à la révolution, comme le faisait Bernstein et comme le font toujours les réformistes d'aujourd'hui. Malgré l'ancienneté de ce texte, le fond de sa critique est toujours d'actualité. En effet, les réformistes actuels qui essayent de doter leur opportunisme d'une base théorique reprennent souvent (sans le savoir) les idées de Bernstein. Ce sont ces mêmes illusions sur la possibilité d'améliorer le capitalisme graduellement, par étapes. Nous conseillons donc vivement la lecture de Réforme sociale ou révolution ? à tous les militants de gauche qui veulent s'armer, théoriquement, dans leur lutte contre le capitalisme.