Esclavage et réparations
Nous poursuivons le débat ouvert dans nos colonnes dans le numéro précédent sous le titre : Esclavage et réparations,sujet tabou ?,en versant au dossier cette contribution, présentée au débat organisé par le CRAN à la Villette le 23 mai dernier par la juriste Nora WIittman.
A u nom du MIR \(Mouvement International pour les Réparations\) nous vous remercions de nous avoir conviés à cette rencontre qui de par la qualité et la diversité des intervenants, ouvre véritablement le débat public en France sur cette question demeurée trop long - temps tabou. Le 23 mai 2012 est le septième anniversaire de l'assignation de l'État français en réparation par le MIR-Martinique, le 23 mai 2005, devant le Tribunal de Grande Instance de Fort-de-France. Cette assignation d'un État qui fut esclavagiste, au nom de la continuité de l'État, constitue une première dans le monde. Elle fait suite à l'adoption en mai 2001 de la loi Taubira qui reconnaît l'esclavage transatlantique en tant que crime contre l'humanité.
Étant donné que nous sommes maintenant au stade de l'ouver- ture du débat public en France, il nous semble important de clari - fier certaines définitions de base. Que dit la législation internationale en matière de réparation ? - Y a-t-il eu une violation du droit international qui ouvre droit à réparation ?- Quels sont les responsables ?
QUE DIT LE DROIT INTERNATIO- NAL EN MATIRE DE RPARATION ?
L'objectif est selon le droit inter - national, la "réparation intégrale du préjudice causé" et pour l'at- teindre différentes formes de réparations sont répertoriées
. La règle de base a été formulée par la Cour Permanente de Justice Internationale dans l'affaire «Usine de Chorzow» où la Cour a indiqué que : «la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis». Ainsi, ce que le droit international prescrit véritablement si l'on s'en tient à cette règle, c'est le rétablissement de la souveraineté africaine, la fin du génocide contre le peuple africain et la fin de l'apartheid mondial. Ce qui se traduira in fine, par un changement fondamental de l'ordre mondial.
Sur la base de ce principe juridique général, le droit international contemporain connaît les moyens suivants pour la réalisation de l'objectif de réparation : restitution, indemnisation, satisfaction, cessation et garanties de non-répétition.
La RESTITUTIONest la forme première de la réparation dans le droit international, et constitue avec l'indemnisation la forme la plus courammentappliquée(1).
Dans la mesure où le dommage n'est pas réparé par la restitution, on recourt à l'INDEM- NISATION, «pour couvrir tout dommage susceptible de faire l'objet d'une évaluation financière, y compris le manque à gagner dans la mesure où celuici peut être établi»(2).
Il importe de préciser concer- nant les réparations financières, que le droit international fait obligation de retourner des ressources qui ont été arrachées de manière illégale. Il n'est jamais possible de réparertous les dégâts dés lors qu'il y a eu violations des droits humains, mais ce n'est pas une raison pour ne pas réparer ce qui peut être réparé pour les survivants et les descendants.
Même dans un vol avec violence entraînant la mort, on ne laisse - rait pas le braqueur garder l'ar - gent au motif que le propriétaire légitime a été tué. Des États responsables des faits internationalement illicites sont aussi obligés de CESSER la violation dans le cas où elle continue, et d'offrir des GARANTIES DE NON-RÉPÉTITION.
Or l'esclavage transatlantique est une partie du crime continu que constitue le MAAF A, qui comp - rend l'esclavage transatlantique, le colonialisme, et le néo-colonialisme et est défini dans sa totalité par génocide et violation de la souveraineté Africaine
Cette provision du droit interna- tional signifie que les États euro - péens et euro-américains, responsables, sont dans l'obligation de cesser leur conduite illégale et d'offrir des garanties de non-répétition. De telles garanties peuvent par exemple inclure une représentation équilibrée de l'Afrique dans le Conseil de Sécurité et dans d'autres orga - nisations internationales. Et le fait de violation continue peut permettre d'établir la compétence de la Cour International de Justice et de la Cour Européenne des Droits de l'Homme et l'application directe des Articles de la Commission du droit international des Nations Unies.
Quant à la SATISFACTIONtelle que prévue par le droit international, elle peut prendre la forme d'excuses, comme un "aveu de la faute et de la responsabilité de la violation". Et pour être juridiquement acceptable elle doit impliquer une volonté de faire tout ce qui est appropri pour réparer les dommages causés, y compris l'indemnisation.
Dans notre cas, cela signifie que les États ex-esclavagistes sont dans une obligation légale d'éta- blir la vérité sur leur responsabili- té dans l'esclavage transatlan- tique et qu'ils ont à fournir les moyens pour que soit menée une recherche approfondie sur l'en - semble des impacts : flux finan - ciers générés par l'esclavage transatlantique, destructions du tissu social etc.
Y A-T -IL EU UNE VIOLA TION DU DROIT INTERNATIONAL QUI OUVRE DROIT À8 RPARATION ?
Allons maintenant au cœur du débat international sur lesréparations. Y a-t-il eu violation du droit international ? Le principal argument avancé par les États européens et les adversaires de réparations, est que "l'esclavage" aurait été "légal" à ce moment-là. En raison du prin - cipe, central dans la loi internatio- nale, selon lequel les faits doivent être jugés par le droit qui était en vigueur au moment des faits, des réparations pour ce crime le plus massif n'auraient donc pas de fondement juridique.
Cet argumentaire est faux, car l'histoire révèle que l'esclavage tel qu'il fut imposé par les États européens et esclavagis - tes sur les Africains, était illé - gal tant dans les sociétés africaines qu'européennes. Lorsque débute l'esclavage transatlantique :
• Une importante portion de l'Afrique noire comme de l'Europe ne pratique pas l'escla - vage \(en Afrique noire des Diola à l'Ouest aux Dinka à l'Est, en Europe... la France, l'Angleterre, les Pays-Bas...), où
• La où une forme d'asservisse- ment existe, que ce soit en Afrique ou en Europe \(notamment Portugal et Espagne...), elle est contenue dans des limites légales, au sein desquelles les personnes ont des droits et garanties et où l'esclavage/travail forcé est seulement légitime en tant que conséquence d'une condamnation pénale ou de la captivité dans une « guerre juste».
Dans les sociétés africaines il n'a jamais été rapporté l'existence de droit des uns à couper les oreilles et les organes génitaux des autres ; ou à estampiller son nom sur le corps d'autres êtres humains comme sur du bétail ; ni de droit de tuer un bébé parce qu'il dérange par ses pleurs ; ni de droit à rôtir quelqu'un vivant pour une quelconque infraction ; ni de droit à dresser des chiens pour boire le sang des captifs rebelles et se nourrir de leur chair. En Europe même, cette illégalité de la pratique explique pour - quoi, lorsque des affaires ont pu être portées devant des tribunaux, la grande majorité des décisions de justice britanniques et françaises ont été de condam - nation de la pratique esclavagiste et de remise en liberté des Africains concernés. Les tribu- naux français ont également établi dans plusieurs cas, le droit des plaignants à percevoir les salaires non versés, ce qui équivaut à des réparations (1755; 1762 également du fait de l'illégalité et de l'inconstitutionnalité de l'esclavage que le Parlement de Paris a refusé d'enregistrer le Code Noir de 1685. Ces lois criminelles n'ont donc jamais acquis une validité juridique.
Les systèmes juridiques, tant dans les pays Africains qu'Européens à cette époque-là connaissaient aussi le concept de la responsabilité juridique et des réparations. Eu égard à l'illégalité avérée de la pratique de l'esclavage transat - lantique, il y a une base juridique solide pour les demandes de réparations.
QUI EST RESPONSABLE ?
Bien sûr, les entités privées et entreprises qui ont profité de l'esclavage, mais d'abord et avant tout les États européens qui ont organisé et contrôlé ce génocide. L'esclavage transatlantique ne fut pas accidentel ; ce fut de bout en bout un plan d'action criminel élaboré par des États. L'esclavage transatlantique a commencé comme une entreprise royale fondée sur le monopole de l'État. Au cours des siècles suivants, l'entrepri- se de déportation a été dominée par des entreprises sous charte de l'État, qui ont construit et entretenu les donjons des esclaves sur la côte africai- ne et effectué les traversées au cours desquelles des millions d'Africains capturés sont morts.
Et dans les colonies, les conditions de vie de l'esclave réglementées par les pouvoirs publics étaient si atroces que la durée de vie moyenne des travailleurs esclaves ne dépassait pas 5 ans. La responsabilité juridique des États européens en vertu de l'article 4, article 8, l'article 11 et d'autres articles de la Commission du droit international peut être facilement établie. La demande de réparations n'est pas nouvelle.
Si les réparations n'ont pas enco- re commencé à être acquittées c'est du fait de la puissance des États responsables ; une puissance acquise à travers le crime luimême, et qui leur permet encore de s'imposer par la force.
L'histoire est en devenir. Lorsque les peuples d'ascendance africaine, par leur mobilisation, parviendront à faire reconnaître leurs droits, cela pourra enclencher un processus de redistribution mondiale des richesses, prélu - de à l'instauration d'un monde où pourrait régner une paix durable, fondée sur une prospérité partagée.
Pour conclure, je souhaite faire un point d'information et émettre au nom du MIR une proposition.
INFORMA TION
Je rappelle qu'au cours des der- nières années, suite à la procédu - re engagée par le MIR, la Martinique est devenue un laboratoire dans la lutte pour les réparations : plusieurs victoires juridiques ont été remportées et une importante jurisprudence a été produite.
La procédure engagée par le MIR visait pour commencer à ce que l'État français se conforme à ses obligations légales en fournissant les moyens financiers nécessaire pour mener une étude approfondie de l'impact de ces crimes contre l'humanité sur les peuples descendants des personnes qui ont été détenues en esclavage dans les colonies françaises. Toute personne parvenant par la généalogie à prouver qu'el - le a parmi ses ancêtres quel - qu'un qui fut détenu en escla- vage peut prendre contact avec le MIR-Martinique pour se joindre à la procédure.
PROPOSITION DU MIR
Nous adressons cette proposi - tion en particulier à Monsieur TIN du CRAN (organisateur de ce débat), à Monsieur DIENE et à Monsieur IYE. Serait-il possible, peut-être à l'occasion de la Journée Internationale du 23 août, d'organiser une rencontre internationale spécifiquement de juristes, pour faire le point sur l'évolution du droit de la réparation. Les avocats du MIR seraient pour cela à votre disposition, et nous suggérons la Jamaïque pour une telle rencontre, notamment parce que Maître Anthony Gifford, pionnier dans la lutte juri - dique pour des réparations, y réside, mais encore du fait de la position stratégique de ce pays dans les Caraïbes, et de sa proximité avec Haïti.
(1) Dans notre cas, ça peut par exemple signi - fier que les États ex-esclavagistes sont dans l'obligation de fournir les moyens d'aller s'installer en Afrique à ceux des descendants d'Africains déportés qui le souhaitent.
(2) orld Reparations and Repatriation Truth Commission” qui s'est tenue à Accra/Ghana a estimé le montant de l'indemnisation due en réparation à $777 trillion.