La récolte cannière 2023 difficile pour les planteurs de la Guadeloupe

La récolte cannière 2023 vient de s’achever sur les terres guadeloupéennes et les premiers chiffres ne semblent pas rassurer les exploitants de canne à sucre, inquiets après un démarrage retardé par de nombreux conflits liés à la conjoncture économique, ainsi que des désaccords internes à la filière et un climat non adéquat. Le directeur de la SICA Union pour le Développement Cannier et Agricole de Guadeloupe (UDCAG), Bruno Mounigan nous permet de nous pencher sur cette réalité.

Quels sont le bilan de cette année cannière 2023 ?
La campagne a été très difficile. Nous avons terminé la récolte le 14 août (Gpe continentale) et le 01 juillet (Marie-Galante). Le volume livré et broyé par la sucrerie de Gardel est de 404 931 tonnes (Prévision : 416 000 tonnes) et celle de Marie-Galante, 52 754 tonnes (Prévision : 57 800 tonnes). Cela reste loin des années où nous avions des chiffres avoisinant quelques 600 000 tonnes en sucrerie mais nous sauvons les meubles. En toute franchise, nous étions quelque peu inquiets en début d’année face aux difficultés que nous avons rencontrées, notamment le gros retard au démarrage de la récolte dû à une phase de négociations non abouties... Le calendrier a été décalé pour débuter au mois d’avril au lieu de février et nous ne savions pas si nous pourrions tenir les chiffres de récoltes souhaitées.
Lesquels sont-ils ?
De plus, le climat n’a pas été des plus tendres cette année… La pluie a bouleversé la récolte, de nombreuses parcelles ont été inondées ce qui a rendu compliqué leur accès. Ces éléments météorologiques sont difficiles à apprivoiser et ont rendu les conditions de travail des exploitants et opérateurs de récoltes beaucoup plus complexes. De plus, cette hausse de la pluviométrie a également impacté le volume de cannes récoltés. Celui-ci, est moindre que les années précédentes et c’est très frustrant pour tout un secteur économique important et essentiel de la Guadeloupe. Rajoutez à cela l’inflation, la hausse du prix de l’essence, des récoltes incendiées, des soucis d’entretien des machines agricoles qui tombent en panne de manière récurrente et une livraison tardive des pièces de rechange, les choses se compliquent très vite. Ainsi, la récolte n’a pas été une partie de plaisir… Ces évènements ont causés de faibles richesses saccharines et un tas de cannes restant sur pied (volume en cours d’identification).
Vous soulignez des complications notables, à quoi sont-elles dues ?
Je pense qu’il y a un vrai découragement de la part des planteurs. Ils contestent le prix de vente de la tonne de canne qui est bien trop bas tandis que les prix des prestations de récolte, travaux et intrants ont augmentés. Les recettes escomptées ne sont pas à la hauteur de leurs attentes et ne sont surtout pas suffisantes pour combler le coût de production de la canne à sucre. Ils sont submergés par des charges de fonctionnement et une faiblesse de trésorerie qui ne leur permettent pas de travailler dans les meilleures conditions. C’est dommageable et nous faisons remonter leurs besoins mais à ce jour, la situation est toujours problématique. Aujourd’hui, les planteurs sont démotivés et ressentent moins l’envie d’entretenir leurs parcelles. Certaines sont abandonnées, d’autres ne sont pas replantées. Mais tout est une question d’argent. Les gros planteurs arrivent plus ou moins à s’en sortir et à trouver un équilibre dans leurs finances mais les petites structures ont la tête sous l’eau. Les aides de l’Etat et les recettes des ventes des cannes ne sont plus suffisantes... La nouvelle « convention canne 2023-2028 », a été signée entre les parties le 01 avril 2023. Elle fixe les nouvelles subventions (Aide surfacique attribuée par l’Etat : 447 euros / ha) et une augmentation du prix industriel de la tonne de canne par les sucreries. Toutefois, à ce jour et malgré les multitudes relances les accords professionnels ne sont toujours traité par la profession. Or, il faut rapidement augmenter le revenu du planteur car nous sommes tristes de voir un si beau secteur en danger. Nous avons un territoire avec des capacités naturelles si riches que nous ne pouvons pas les mettre de côté trop longtemps.
Quelles sont vos préconisations pour redresser le secteur de la canne et redonner du baume au cœur aux planteurs ?
La récolte 2021 a été bonne, cependant celles de 2022 et 2023 ont été très difficiles. La filière a mis en place un plan de relance dans chaque bassin piloté par les SICA cannières (SICADEG, SICAGRA, SICAMA et UDCAG). Malheureusement, le démarrage tardif de la campagne sucrière a hypothéqué les efforts consentis. C’est plus de 6 millions d’euros que les SICA ont avancé aux planteurs pour préparer cette récolte. Cela a permis de financer les travaux de plantation et d’entretien.
Toutefois, nous pouvons noter des signes positifs malgré tout qui nous incitent à avoir la détermination de continuer à avancer pour notre filière. Le tableau n’est pas si sombre que cela. La canne est la 1ère matière première de Guadeloupe, près de 13 000 hectares, elle mérite toute notre attention, celle de nos partenaires et des décideurs politiques. Nous devons tous jouer le jeu, notamment les industriels. A notre avis, la centrale bagasse-charbon du Moule (CTM) devrait participer à la rémunération de la tonne de canne, car c’est grâce aux planteurs si elle fonctionne. De plus, il y a lieu d’établir une nouvelle répartition liée au paiement de la prime bagasse destinée au planteur. Cela lui offrirait des revenus complémentaires. De même, il devrait être rétribué de la vente de produits additionnels réalisés à partir du sucre (Mélasse, etc). C’est un terrain de discussions houleuses que nous devons affronter, mais mis bout à bout, cela revaloriserait le secteur de la canne. Autre piste évoquée, nous avons également fait le constat qu’elle a un fort impact environnemental car elle capte le CO² et ainsi réduit les émissions d’effet de serre sur la planète. C’est une stratégie de développement économique à étudier à l’avenir. La canne fait partie de notre mémoire collective, créatrice de tissu social, et elle participe au rayonnement international, culturel et touristique de la Guadeloupe. C’est une vraie valeur ajoutée qu’il nous fait choyer.