L'homme vu par les plantes Un constat pas flatteur

La protection de la nature est un devoir qui s'impose de plus en plus à l'humanité. Les plantes, ê1tres vivants,incapables de s'exprimer au sens humain du terme, traver- sent les décennies,les siècles,en restant silencieuses sur un passé dont elles gardent tant de secrets.La tradition d'oralité de la communauté guadeloupéenne,jusqu'à une certaine époque,a permis à nos grands parents de nous transmettre leurs connaissances,acquises sur le terrain.

J ' ai regroupé, dans un local, autant de plantes que je pouvais. A lumière de ce que mes parents m'ont raconté, j'ai cherché à compren- dre leur silence, durant des heures. Les échanges, en créole, étaient sans répit, pleins de fierté, de regrets, d'anxiété, de nos - talgie, parfois pleins d'espoir. Je me fais un devoir de rap- porter quelques extraits, traduits en français pour la bonne compréhension. Parfois, j'ai conservé certains propos en créole, très pimen - tés, pour ne pas les dénaturer.

Les premiers mots de ces plantes sont un constat. L'homme, au nom de la modernité, amoureux de la vitesse, toujours en quête de performance pour avoir fré - quenté des grandes écoles, se croyant plus intelligent que ses ancêtres, n'arrête pas de perturber la nature.

Après ce malheureux constat, un bel arbre, à larges feuilles, prend la parole.

On m'avait surnommé «man- man zanfan» ou arbre à pain. J'existais dans toutes les cours, même celles des écoles. Grâce à moi, les humains pouvaient nourrir gratuitement leurs enfants. Jusqu'à mes «pòpòt» ou «tòtòt» étaient cristallisées pour leurs confiseries et elles ser - vaient aussi de poupées aux fillettes. Cela ne les a pas empê - chés de chercher à me dénigrer, en me comparant à l'homme : «Nonm sé kon fouyapin, lèy tonbé i ka pouri». J'ai eu un peu plus de chance que toi, reconnaît le châtaignier, en riant. Ils m'ont comparé à la femme : «Fanm sé chatengn, lèy tonbé i ka rèlèvé», faisant allu - sion à mes graines qui germent à nouveau pour donner la vie. Sé mounla tèlman malpalan ! Yo krié mwen korosol a chyen, à cause de la laideur de mes fruits qui n'ont jamais été mangés pourtant par les chiens. Mais, depuis quelques années, tou lé jou kon bon dyé fè jou, yo ka karésé mwen : «Noni !…Noni !…» pas, yo découvé kè enpé rangé tout' zafè a yo. Quant à nous, cannes à sucre, vanille, café, muscade, nous avons enrichi les pays industrialisés, de l'Europe en particulier. Ils nous ont fait participé, malgré nous, à ce criminel commerce triangulaire ayant entretenu l'esclavage. Yo ka fè nonm, mais, ils n'auraient jamais été aussi robustes, aussi résistants dans le travail, ces hommes et femmes si nous, manioc, igname, malanga, madère, patate, ti nain, pois de bois, n'avions pas donné si généreusement nos tubercules, nos fruits, et nos graines. C'est grâce à moi qu'ils avaient la possibilité de faire leurs fouyé difé, rappelle le campêche. Mes feuilles ont combattu leurs pertes blanches et leurs eczémas Ils ont même utilisé des morceaux de mes branches en les mettant en croix au-des - sus de leurs portes, pour chasser les esprits malveillants. Mé zanmi, kwa si bouch ! ajou - tent le trèfle, la honteuse mâle, le pavot. Nous, nous, préférons ne rien dire. Si les quatre che - mins de Guadeloupe n'avaient pas été remplacés par des gigan- tesques ronds-points, ils pourraient parler à notre place. Le maïs, la tomate, avec beaucoup de tristesse, déplorent et condamnent : «Au nom de la rentabilité, ces hommes, sans pitié, veulent nous transformer, aujourd'hui, en OGM ou organismes génétiquement modi - fiés», alors que nous n'avons rien demandé. Ils prennent ainsi, délibérément, le risque de nous transformer en makonmè, lesbiennes ou homosexuels. Le goyavier , le papayer , le paro - ka, le thé pays, le semen contra et le chiendent, révoltés, s'écrient : «Nous avons combattu, avec nos feuilles et nos fruits, leur diarrhée et celle de leurs bébés. Nous les avons débarrassés de leurs vers, tels les ascaris, et de leur bile». Dans un coin, une voix plutôt gênée, se fait entendre : Ils m'ontaf fublé d'un surnom qui évoque une partie de leur anatomie à cause de mon parfum, mais, «douvan-nèg» que je suis, je suis fier d'avoir contribué à leur faire prendre conscience d'une bonne hygiène corporelle et d'avoir été utilisé pour récurer et donner de l'éclat à leur plancher, avec mon compatriote torchon. Combien de fois ai-je balayé ce plancher se souvient le lata- nier ! Le balai qu'ils confectionnaient avec mes feuilles était purement et simplement mis tête en bas pour éloigner le visiteur qui s'attardait ! En effet, poursuivent le « pòyé, le mahogany, le cajou, le bam- bou, le calebassier, le vétiver ou vèltivè: » Nous avons servi de matériaux de construction de maisons, de meubles, de moyens de navigation, de pêche, d'ustensiles de cuisine et d'outils . Ils se sont laissés tromper par les affairistes du ciment, du fer ou des matières synthétiques lesquels leur posent maintenant de graves problèmes de pollution. Ils savaient que pour arrêter l'é - volution de leur grippe et soula- ger leur coqueluche, ils pouvaient compter sur nous, fleur de sureau, citronnelle, rose Cayenne, fleurs de sonnette, koklaïa, et tant d'autres.

Que de déformations dentaires et de mâchoires ai-je évitées ! affirme laloué ou Aloés quand on imprégnait de ma sève amère les doigts des enfants pour les empêcher de les sucer ! Nous, zyé-a-bourik, zèb zégwi et piman zozio, nous avons soulagé leurs hémorroïdes et leurs « chofis » entre les orteils. Et moi, élégant chevalier-onzeheures, j'entends encore les plaintes de ces messieurs qui ne savaient que faire de leur hernie quand ils venaient me chercher . Jeunes ou vieux, que ces messieurs, s'ils croient en ma vertu, continuent à prélever mon écorce mais, sans trop meblesser , pour ne pas me tuer, avance le bwa bandé, avec beaucoup d'humour. A propos, apostrophent le sapotillier , le mombinier, le corosso- lier, la consoude, la plante a man doudou, nous avons rassuré beaucoup de jeunes femmes qui avaient des règles insuf fisan - tes ou douloureuses. En parlant de femmes, regrette le fromager, je les vois passer depuis de nombreuses années au volant de leur 4X4, sans daigner me jeter un regard, alors que mes branches ont servi, durant des siè - cles, de pistes d'envol et d'atter- rissage pour les soukougnans. Mè… pli ta, pli tris. J'espère qu'elles reviendront me voir dans quelques années car, il n'y aura plus de pétrole pour se déplacer. Et la pomme cannelle se met à chanter en se balançant : «J'ai hanté les rêves de beaucoup de jeunes femmes qui, lè yo pa té tini sérénad, se réveillaient en chantant : «yè swa mwen révé ou té on sicrié, en té on ponm kannel ou té ka bekté mwen ; Ay ! Doudou bekté mwen, bekté mwen, bekté mwen…». Et nous, non seulement nous avons servi de nourriture mais, nous mettions de l'ambiance dans les réunions : «dlo doubout : kann'» ; «dlo pann' : koko» ; «je ne suis ni roi, ni reine, mais je porte la couronne : Grenade». Moi, flamboyant majestueux, les enfants savaient qu'en fleurissant, j'allais leur donner bientôt les grandes vacances. En outre, mes gr aines, associées à celles de mes amis, zyé a bourik, zyié a bèf, Gren job, grenn' réglis - se ou grenn' légliz, permet - taient aux demoisellescoquettes de confectionner de belles parures pour s'habiller.

J'ai entendu et compris tellement d’ autres choses. Je livre la conclu- sion de ces plantes. A l'unanimité, elles ont déclaré : «Fort heureusement, l'homme semble avoir compris. Il se donne bonne cons - cience, en utilisant de plus en plus des termes savants, pompeux, comme il en a souvent la manie. Il parle, par exemple «d'agriculture biologique, d'écologie, de développement durable, d'homéopathie, de phytothérapie, pour ne pas dire rimèd razié, comme ses ancêtres l'avaient fort bien compris. L'humanité est bien pénétrée, désormais, que sa survie est liée à la nôtre. Sans nous, l'humanité n'aura pas l'oxygène pour respi - rer et… yo tout ké an filaola».

Respect et amour pour les plan- tes. Respect et amour pour ce patrimoine.