Conflit israélo-palestinien : «L’issue ne peut pas être militaire, le noeud du problème est politique»
L’opération Déluge d’Al-Aqsa menée par le Hamas avec d’autres groupes palestiniens a surpris le monde entier, à commencer par Israël. Comment expliquer une opération d’une telle ampleur côté palestinien et un tel effet de surprise côté israélien ?
Il faudrait sans doute une enquête en Israël pour savoir comment le Shin Bet, le service israélien de renseignements intérieurs, n’a pas pu voir venir une telle attaque. Mais ce que l’on sait déjà, c’est qu’Israël était miné par des problèmes intérieurs qui ont des retombées sur le fonctionnement de l’État.
Quel était le but poursuivi ?
L’opération Déluge d’Al-Aqsa a permis de remettre la cause palestinienne sur le devant de la scène internationale. La guerre en Ukrai-ne, les tensions entre les États-Unis et la Chine, ce qui se passe en Afrique ou encore la crise politique intérieure d’Israël ont eu tendance à éclipser le fait que depuis trente ans, Israël n’a jamais appliqué les Accords d’Oslo et a continué à coloniser les territoires palestiniens dans l’indifférence générale. Cette colonisation rampante, c’est le fond du problème. Bientôt, il ne restera plus de territoires aux Palestiniens. Et il n’y a eu aucune décision internationale pour stopper ce processus qu’Israël poursuit en toute illégalité.
La cause palestinienne avait également tendance à être éclipsée par la normalisation des relations entre des États arabes et Israël. Les Émirats, Bahreïn, le Maroc ou encore le Soudan ont déjà franchi le cap. Et on parlait même d’une normalisation avec l’Arabie saoudite. Le Hamas a réussi son coup en montrant qu’il ne peut pas y avoir de normalisation si on oublie les droits des Palestiniens.
C’est une victoire pour les Palesti-niens, malgré les fortes représailles d’Israël ?
Le Hamas a réussi à pénétrer jusqu’à 20 kilomètres. Ils ont attaqué des casernes militaires et ont surpris des soldats dans leur sommeil. C’est un succès militaire, mais il y a aussi des choses que l’on peut condamner dans cette opération, comme ces jeunes qui ont été massacrés à un festival de musique. C’est abominable, les commandos palestiniens n’avaient pas à faire cela.
Il faut condamner les morts de civils israéliens ?
Il faut condamner le massacre de civils israéliens comme il faut condamner le massacre des civils palestiniens par les bombardements d’Israël.
Il faut aussi le condamner. Mais on ne peut pas en retour fermer les yeux sur toutes les pratiques de la police et de l’armée israélienne dans les territoires occupés depuis 1967. Ils capturent des Palestiniens et les mettent en prison sans aucune forme de procès.
Pour la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, l’opération du Hamas relève «purement du terrorisme». Pourtant, quand les États-Unis mènent des guerres partout dans le Moyen-Orient et tuent des millions d’innocents, quand ils soutiennent des groupes terroristes pour renverser le gouvernement syrien à travers l’opération Timber Sycamore, on ne peut pas ignorer le terrorisme d’État. Oui, il y a eu des actions terroristes du côté du Hamas. Mais il y a aussi un terrorisme d’État du côté d’Israël et des États-Unis. Ce terrorisme-là aussi doit être démasqué et condamné.
Le conflit pourrait-il avoir des répercussions régionales ? Selon le Wall Street Journal, l’Iran serait impliqué dans l’opération du Hamas. Ses alliés de l’«axe de la résistance», à savoir le Hezbollah et la Syrie, pourraient-ils aussi prendre part aux combats en cours ?
L’Iran est l’un des principaux soutiens du Hamas, mais les Palestiniens n’ont pas eu besoin de Téhéran pour mener cette opération. L’Iran n’interviendra pas et ce serait une lourde erreur d’Israël de l’impliquer dans le conflit. La Syrie n’interviendra pas non plus. Elle est déjà très affaiblie par l’occupation américaine et française à l’est de l’Euphrate, par l’occupation turque au nord et par la base militaire US d’al-Tanf au sud. Reste le Hezbollah. Le mouvement libanais a beaucoup plus de moyens que le Hamas, il dispose de dizaines de milliers de missiles sophistiqués et d’environ 20.000 soldats aguerris prêts à prendre part aux combats. Mais je ne pense pas que le Hezbollah interviendra tout de suite.
En revanche, il pourrait s’impliquer et ouvrir un front à la frontière libanaise si les troupes israéliennes envahissent Gaza. Israël ferait mieux de négocier. Pour le moment, Netanya-hou veut redorer le mythe de son armée invincible, Tsahal, en s’attaquant à Gaza. Mais plus le conflit traîne, plus il y aura des risques de répercussions régionales.
Les États-Unis ont envoyé leur plus grand navire de guerre en méditerranée, le porte-avion USS Gerald Ford. Pourraient-ils intervenir ?
Une guerre régionale ne serait pas dans l’intérêt de Washington, mais ferait plutôt l’affaire des Russes et des Chinois et, de manière générale, des BRICS. En effet, l’enjeu majeur pour les grandes puissances n’est pas la création d’un État palestinien, mais le règne du dollar. Ce règne est de plus en plus contesté par l’émergence des BRICS que l’Arabie saoudite veut rejoindre. Dans ce contexte, une guerre globale au Proche-Orient ouvrirait un nouveau front pour les États-Unis. Or, ils peinent déjà à soutenir l’Ukraine. Ajoutez à cela un troisième front latent à Taïwan. Ça ferait beaucoup pour Washington.
Ce porte-avion ne fait donc peur à personne. Il pourrait tout au plus confronter le Hezbollah à un dilemme : s’il intervient en Israël, le Liban pourrait se faire raser ; s’il n’intervient pas, il sera accusé de traîtrise. Mais acculer le Hezbollah pourrait s’avérer être une opération périlleuse. Il pourrait frapper des usines chimiques en territoire israélien, à Saint-Jean d’Acre notamment. Ce serait l’apocalypse !
L’issue du conflit ne peut donc pas être militaire ?
Le noeud du problème est politique : depuis 30 ans, Israël ne respecte pas les accords d’Oslo et continue de coloniser les territoires palestiniens. Tant que la communauté internationale ne réagit pas à cette colonisation illégale, il n’y aura pas de solution.
Grégoire Lalieu - Source : Investig’Action