Haïti : l’ONU autorise l’envoi d’une force armée multinationale

Le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé, lundi 2 octobre, l’envoi d’une force multinationale pour lutter contre les bandes armées en Haïti. Ce qui est mis en avant comme un geste de solidarité et une source d’espoir s’apparente surtout à une fuite en avant d’une communauté internationale incapable de reconnaître la faillite de sa stratégie.

Au cours des neuf premiers mois de cette année, au moins 3.000 homicides et 1.500 enlèvements ont été perpétrés par les bandes armées et plus de 200.000 personnes ont été déplacés par la violence en Haïti. Dans la capitale, Port-au-Prince, la moitié des hôpitaux se trouvent sur des territoires contrôlés par ces gangs, qui occupent par ailleurs près d’une soixantaine d’écoles. À cela vient s’ajouter l’inflation, la pauvreté, une économie en déroute et la faim qui touche pratiquement un Haïtien sur deux.
Dans ce contexte, l’autorisation par l’ONU de l’envoi d’une «Mission multinationale d’appui à la sécurité» constituerait, selon le ministre haïtien des Affaires étrangères, une «lueur d’espoir». Certes, dans un premier temps, lorsqu’elle sera déployée -probablement pas avant janvier 2024-, cette force armée offrira vraisemblablement un répit à la population haïtienne. Mais jusqu’à quel point et pour combien de temps ? Surtout, cette nouvelle intervention étrangère -Haïti en a connu plusieurs au cours de ces trois dernières décennies- ne s’attaquera pas aux racines du mal, qui risquent fort de ressortir intactes sinon renforcées de cette énième mission internationale.
UNE STRATÉGIE FAUSSÉE
L’envoi d’une force armée est présenté comme la démonstration que la communauté internationale abandonne enfin sa passivité pour passer à l’action, comme le dernier recours face à une situation d’urgence, alors «qu’on a tout essayé». Mais, en réalité, cette intervention étrangère est la dernière étape logique d’une même stratégie mise en oeuvre depuis des années par des institutions internationales -l’ONU, l’Union européenne, l’Organisation des États d’Amérique, etc.- alignées sur la Maison blanche.
Ce fut d’abord, au lendemain de l’assassinat de l’ex-président Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021, la reconnaissance d’un gouvernement mené par Ariel Henry, au détriment de l’accord dit de Montana regroupant l’ensemble des acteurs de la société civile (syndicats, mouvements paysans, organisations de femmes et de jeunes, ONG de droits humains, églises, etc.) appelant à une «transition de rupture». Ce fut ensuite un soutien inconditionnel à un gouvernement non élu, impopulaire, régulièrement accusé d’être lié aux bandes armées et qui s’effondrerait du jour au lendemain sans cet appui international. Ce fut, enfin, la répon-se positive immédiatement donnée à la demande d’envoi d’une force multinationale le 7 octobre 2022.
«On n’a donc pas tout essayé» avant d’en arriver là. On n’a pas essayé de cesser de soutenir un gouvernement haïtien corrompu, garant de l’impunité et des intérêts de l’oligarchie. On n’a pas essayé d’écouter les organisations sociales haïtiennes et de faciliter une transition, comme le rappelait opportunément, fin juin, une tribune signée par des acteurs et actrices de la société civile belge. Et cette force armée multinationale entérine davantage encore le refus de reconnaître la faillite de cette stratégie dictée depuis Washington, la responsabilité de la communauté internationale dans la crise actuelle et le refus d’opérer un tournant politique.
Il est paradoxal que ce soit Pékin qui rappelle quelques évidences. La Chine (de même que la Russie) s’est abstenue lors du vote du Conseil de sécurité de l’ONU autorisant l’envoi de la «Mission multinationale d’appui à la sécurité». Elle plaide pour l’adoption d’autres mesures. Ainsi a-t-elle obtenu l’élargissement de l’embargo sur les armes, en pointant le fait que l’essentiel des armes aux mains des bandes armées haïtiennes provenait des États-Unis. Elle a surtout rappelé que, sans gouvernement légitime, efficace et qui rende des comptes, il n’y aurait pas de solution durable en Haïti. Et de regretter que ce n’était pas le signal envoyé aux autorités haïtiennes.
ET MAINTENANT ?
D’abord combattre l’insécurité et, ensuite, organiser des élections ? La méconnaissance du terrain et de la langue, l’usage abusif de la force dont ont déjà fait preuve les policiers kenyans dans leur pays et l’absence de mécanismes de contrôle, ainsi que les expériences des missions onusiennes passées, mettent en question l’efficacité et la légitimité de cette force multinationale conduite par le Kenya. D’autant plus qu’on prétend lutter contre les bandes armées en s’appuyant sur et en renforçant un gouvernement et une police mises en causes pour leurs complicités avec ces mêmes bandes armées. Et ce serait ce gouvernement qui organiserait des élections libres et démocratiques où pourrait s’exprimer la volonté de la population haïtienne ?
Certes, pourrait-on objecter, mais, ne vaut-il pas mieux une force multinationale armée plutôt que rien ? C’est justement ce type de faux dilemme de la communauté internationale que les Haïtiens et Haïtiennes entendent renverser pour réaffirmer leur dignité et leur soif de liberté. N’est-ce pas à eux de contrôler leurs institutions publi-ques et les interventions extérieures sur leurs terres, d’en décider les contours et les conditions ? N’est-ce pas ce qu’on leur refuse, en appuyant un gouvernement qui entretient l’insécurité pour asseoir son pouvoir ? Et en imposant, chaque décennie, des mesures d’urgence qui hypothèquent toute solution durable en laissant hors-champ les causes structurelles de la violence : l’impunité, les inégalités et la mise sous tutelle internationale ?
Le billet d’opinion de Frédéric Thomas (CETRI)
dans La Libre Belgique