Un ouvrage qui éclaire l’histoire des affranchis
Le maître de conférences et historien guadeloupéen Frédéric Régent publie un nouvel ouvrage intitulé Libres de couleur, les affranchis et leurs descendants en terre d''esclavage XIVe-XIXe siècle. Dans celui-ci, il insiste sur l’histoire méconnue de cette population dont les traces du passé et les mémoires collectives sont parfois erronées.
Pourquoi avoir choisi un tel thème si peu traité ?
Frédéric Régent : Je suis passionné par l’histoire de l’esclavage, ce n’est pas nouveau ! (Frédéric Régent est directeur de recher-che à l’Ecole d''histoire de la Sorbonne à Paris et conseiller scientifique du Mémorial national en hommage aux victimes de l''esclavage). Avec ma maison d’édition, nous avions envie de nous lancer dans un nouvel écrit et j’avais ce sujet en tête depuis quelques temps. C’est, en effet, un pan de notre histoire dont on ne parle peu, même lorsqu’on évoque l’esclavagisme. Certainement car il y a une méconnaissance de ce terme et de sa signification.
En effet, les libres de couleur étaient des affranchis de couleur noir ou métis ou des descendants d’affranchis. Cette notion date d’avant l’abolition de l’esclavage. Une fois libres, ils sont libres d’entreprendre et de commercer. Victimes du préjugé de couleur, ils constituent malgré tout une population à part. Mais ai fil des découvertes, on se rend compte que tout n’était pas blanc ou noir dans leurs rôles et que la nuance existe même à cette époque.
En Guadeloupe, les anciens savent s''ils sont des descendants d’esclaves mais peu savent, ou ne veulent savoir, si ceux-ci étaient des affranchis… Les recherches généalogiques ne sont pas assez poussées et, finalement, nous vivons dans une certaine méconnaissance de l’histoire de nos familles.
Qu’est-ce qui ressort de votre
analyse ?
Je me suis intéressé aux premiers affranchissements dans les colonies d’Amérique latine au XVIe siècle, jusqu’à la veille des abolitions aux Antilles ou aux États-Unis. A l’appui d’archives en différentes langues et de données jamais encore réunies, j’ai abordé la condition de millions de descendants d’esclaves de manière assez inédite. Le but étant aussi de remonter jusqu’aux colonies européennes et grandes puissances comme l’Espagne et le Portugal qui ont appliqué l’esclavagisme et de comprendre la dynamique commune entre toutes ces sociétés. Il est évident que les libres de couleur étaient des objets politiques qui avaient divers usages...
Il y a eu des tentatives de contrôler et de monnayer les affranchissements, ainsi que des politiques vexatoires envers cette population. Ils ont subi de nombreuses discriminations. Mais, ils ont, eux aussi, eu leurs travers. En effet, dès le début du XIXe siècle, certains deviennent aisés, éduqués (mais ne peuvent pas accéder à des métiers de responsabilité) et achètent leur entourage pour l’affranchir. D’autres deviennent propriétaires d’esclaves, perpétuent ce fléau et profitent d’un système bien établi.
Cette nouvelle élite de la population noire a donc plusieurs facettes mais son point commun reste cette lutte pour exister dans la société française. Dès 1830, leurs droits sont finalement reconnus. Puis, l’abolition de l’esclave en 1848 changera le cours de l’histoire pour toujours…
Question plus personnelle. Pourquoi avoir un tel attrait pour
la période de l’esclavage ?
Je suis d’origine guadeloupéenne et, lorsque j’ai eu mon affection à l’Université des Antilles, j’ai fait le choix de consacrer ma thèse à la Révolution française et à cette hérésie qu’est l’abolition puis le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe. C’est le seul endroit où un tel événement a pu se produire et je voulais comprendre comment et pourquoi.
Finalement, beaucoup de choses restent encore floues et nous avons du mal à raconter un passé sans anicroche. La vérité historique n’existe pas mais nous tentons, nous historiens, de nous rapprocher de la réalité et de décrire les chronologies d’après des sources. Une lecture faussée de notre passé ne permet pas d’écrire un futur sereinement et c’est l’une des problématiques majeures en Guadeloupe.
Nous avons tendance à tout expliquer par l’esclavagisme. Or, il est terminé depuis 175 ans… De nos jours, il y a d’autres pratiques d’exploitations, comme le travail à la chaîne dès les années 70, que nous avons laissé s’immiscer dans notre quotidien. Le passé n’est pas le seul fautif, nous devons davantage ouvrir les yeux sur notre présent.
Frédéric Régent, Libres de couleur. Les affranchis et leurs descendants en terre d''esclavage
XIVe-XIXe siècle, Editions Tallandier, 25€