L’Ukraine au bord de la crise. Et Zelensky sur la corde raide ?

Rien ne va plus pour Zelensky. La contre-offensive s’est soldée par un échec, les généraux ukrainiens grincent des dents et l’armée russe repart à l’attaque. La situation en interne montre des signes de crispation comme la tentative d’assassinat d’un opposant en Crimée ou l’arrestation de Kolomoisky, l’oligarque qui avait propulsé le président ukrainien. Enfin, des problèmes d’argent pourraient se poser. Aux États-Unis, certains n’y croient plus et rechignent à octroyer les milliards d’aide nécessaires au fonctionnement du gouvernement ukrainien. Ancien sous-secrétaire adjoint à la Défense des États-Unis et expert en stratégie de sécurité, Stephen Bryen fait le point sur la situation en Ukraine.

À plus d’un titre, l’Ukraine est confrontée à une crise qui pourrait faire tomber le gouvernement Zelensky. La situation s’est aggravée depuis l’échec de la tant vantée «contre-offensive» ukrainienne. L’opération était principalement axée sur la région de Zaporijia, mais elle avait aussi mis l’accent sur la tentative de reprise de Bakhmut. Force est de constater qu’elle s’est enlisée. L’Ukraine a subi d’énormes pertes humaines et matérielles sans pratiquement rien obtenir en retour. Même la bataille de la place Bradley a échoué à percer les défenses du général russe Surovikin.
La situation s’aggrave encore à présent, les Russes entamant leur propre offensive. Une partie se concentre sur la ville d’Avdiivka, sur la région de Krasny Liman et sur la ville de Kupyansk. Pratiquement tous les rapports font état d’importants succès tactiques russes, malgré les renforts envoyés par l’Ukraine. Les opérations menées par Moscou semblent destinées à renforcer les frontières de Donetsk et Louhansk, tout en préparant d’éventuelles poussées plus profondes ailleurs.
La presse occidentale et ukrainienne affirme que les Russes subissent de lourdes pertes dans ces opérations. Mais l’afflux de renforts ukrainiens, notamment autour d’Avdiivka, laisse penser que l’armée de Kiev est mise à rude épreuve par les Russes.
L’armée de l’air ukrainienne a également subi de lourdes pertes. Les informations ne sont pas confirmées, mais il semble que les Russes aient pu détruire en octobre vingt Mig-29, huit Su-25, un Su-24 et deux L-39, le L-39 étant un avion d’entraînement et d’attaque léger produit par l’Aero Vodochody de la République tchèque.
Le Mig-29 est quant à lui un avion de chasse à réaction de quatrième génération qui vole plus vite et tourne mieux que le F-16 américain et le F/A-18A. Introduit pour la première fois en 1983, il a été fourni par l’Union soviétique à un certain nombre de pays d’Europe de l’Est qui faisaient alors partie du Pacte de Varsovie. Certains de ces avions ont été remis à l’Ukraine.
Le ministre russe de la Défense, Sergey Shoigu, a déclaré le 25 octobre : «Nous avons reçu des systèmes qui ont abattu 24 avions au cours des cinq derniers jours». Shoigu n’a pas précisé la nature de ces «systèmes» ni où ils opéraient. On ne sait pas exactement de combien de Mig-29 l’Ukraine dispose encore. Probable-ment une poignée seulement.
Les Russes ont également détruit au moins trois chars Léopard, peut-être plus. Les quatorze chars M-1 Abrams fournis par les États-Unis n’ont pas encore été aperçus sur le champ de bataille. Ils pourraient constituer une réserve stratégique pour l’armée ukrainienne. Kiev a admis que les Abrams, tout comme les Léopard, sont vulnérables aux drones tueurs russes tels que le Lancet amélioré, mais qu’ils pouvaient aussi être détruits par l’artillerie et les mines russes.
DES PROBLÈMES D’ARGENT
La deuxième menace qui pèse sur l’Ukraine relève de l’argent. À la Chambre des représentants des États-Unis, les républicains ont tenu à séparer l’aide financière apportée à Israël de celle apportée à l’Ukraine. La première, pour un montant de 14 milliards de dollars, devrait faire l’objet de mesures législatives dans les jours qui viennent. Les députés examineront séparément l’aide destinée à l’Ukraine. On ne sait pas encore à quoi ressemblera le prochain paquet pour Kiev. Certains estiment que les discussions seront âpres sur l’allonge de 61,3 milliards de dollars demandée par Joe Biden et que les fonds pourraient être réduits.
Une part importante de l’aide US sert à payer les salaires des employés du gouvernement ukrainien, les frais de fonctionnement et même les pensions. Le gouvernement Biden a proposé 16,3 milliards de dollars pour soutenir le gouvernement de Zelensky, soit 2,3 milliards de dollars de plus que l’ensemble de l’aide proposée à Israël. Même si la guerre en Ukraine prenait fin aujourd’hui, il faudrait des années avant que l’économie ukrainienne puisse générer suffisamment de revenus pour couvrir les coûts de fonctionnement du gouvernement. Cela signifie que pendant la prochaine décennie, le Trésor US devra donner à l’Ukraine des milliards chaque année pour qu’elle puisse continuer à fonctionner. (Évidemment, si les Russes prennent le contrôle du pays, ce sont eux qui devront payer).
Ces fonds de fonctionnement gouvernemental constituent par ailleurs des proies faciles pour la corruption. Le Congrès US réduira probablement l’aide destinée aux frais de fonctionnement et exigera comme condition d’octroi que l’on rende compte de l’utilisation de l’argent sur place. Il semblerait qu’une partie de la corruption implique des entreprises étasuniennes ainsi que des partenaires politiques liés à des responsables du parti démocrate. Reste à voir à quel point les conditions seront strictes et quel montant de ces 16,3 milliards sera conservé dans le budget.
Le Congrès pourrait aussi demander une stratégie de sortie pour l’Ukrai-ne. Cela n’a pas été proposé jusqu’à maintenant. Mais compte tenu de l’état de l’économie US et d’une perte grandissante de confiance dans la capacité de l’Ukraine à s’imposer face à la Russie, il est probable que des demandes de stratégie de sortie soient intégrées au projet de loi de financement pour l’Ukraine.
D’après certaines informations, Zelensky aurait déjà des problèmes avec ses généraux. Tout d’abord, le long retard dans le lancement de la contre-offensive a fâché les responsables du Pentagone et de la Maison-Blanche qui voulaient que cette contre-offensive soit une démonstration de force contre les Russes et permette ainsi d’assurer le soutien de l’Otan pour l’avenir. Les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Otan avaient préparé des scénarios et des simulations élaborés sur le champ de bataille, ils avaient aidé à former les forces ukrainiennes et ils avaient équipé au moins trois brigades avec du matériel occidental tout au long de l’opération. Finalement, l’offensive a débuté en juin dernier et a échoué en septembre, confirmant les pires craintes des chefs militaires ukrainiens -et privant le pays de milliers de soldats entraînés au combat.
Source : Investig’ation