Le Bumidom, 60 ans et après ?

En décembre, le député guadeloupéen du groupe LIOT Olivier Serva a organisé un colloque à Paris avec pour thème central les 60 ans du Bumidom. Il s’est entouré de personnalités des Outre-mer et, ensemble, sont revenus sur cette page de l’histoire des Antilles que peu de monde connaît. La réalisatrice Guilaine Mondor a également pu présenter son court-métrage «Bumidom, une intégration réussie ?».

En quel honneur s’est déroulé cet événement intitulé «60 ans de Bumidom, hommage aux travailleurs ultramarins» ?
Comme son nom l’indique, il était question de mettre en lumière une période de l’histoire de l’Outre-mer et d’échanger avec des personnes pouvant partager leurs expériences personnelles. Le député Olivier Serva nous a convié, avec la marraine et comédienne Firmine Richard, à discuter autour de ce sujet qui reste tabou dans de nombreuses familles. Peu d’Antillais installés en métropole ont connaissance de l’histoire du Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’Outre-mer créé en juin 1963) voire même parfois de l’histoire de leurs parents qui sont issus du Bumidom… Je remercie le député de nous avoir donné la possibilité d’échanger sur ce thème qui me semble important d’évoquer et notamment dans un lieu aussi emblématique qu’à l’Assemblée nationale. C’était une belle initiative !
En effet, vous-même avez réalisé un documentaire autour du Bumi-dom

. Qu’avez-vous découvert ?
Lorsque j’ai commencé à enquêter pour mon film, je me suis retrouvée confrontée à de nombreuses portes fermées... Peu de familles avaient l’envie de se confier sur ce pan de leur histoire et leurs mots pour l’évoquer n’étaient pas très glorieux. Je n’ai pas compris tout de suite car je n’avais pas conscience que c’était aussi douloureux pour eux de revenir sur cette époque. Mais il semblerait que nombreux antillais partis il y a 60 ans dans l’Hexagone aient, aujourd’hui, beaucoup de regrets et de honte face à ce choix de vie. Il faut savoir qu’entre 1963 et 1981, le Premier ministre du général De Gaulle et député de La Réunion, Michel Debré, décide de créer ce programme qui encourage la jeunesse ultramarine à venir travailler et vivre dans l’Hexagone en leur offrant un voyage et/ou une formation. On estime entre 160 000 et 250 000 le nombre de personnes, avec un nombre plus important de Réunionnais car il était plus facile pour eux de s’intégrer du fait de leur couleur de peau plus claire… Mais tout ne fut pas si rose qu’ils l’espéraient.
Quand vous mettez un point d’interrogation à la fin de votre titre Intégration réussie ? cela éveille le questionnement.
En effet, je ne peux pas répondre avec affirmation que le Bumidom ait été une bonne ou mauvaise chose pour les Antillais. D’ailleurs, beaucoup d’enfants ne savent pas que leurs parents sont arrivés en France par ce biais et d’autres l’ont appris durant le colloque… Cela démontre une réticence profonde. De plus, je pense que la mise en place de cette émigration à cette époque venait comme frein à l’élan des mouvements indépendantistes dans les anciennes colonies. En tout cas, ce colloque fut l’occasion pour certaines familles de mettre carte sur table et de mettre des mots sur leur passé. On a vite compris que les Antillais avaient fondé de grands espoirs dans ce projet. Ils avaient des compétences et pensaient que celles-ci seraient mises en exergue à leur arrivée. Or, ils ont vite déchanté… Des secrétaires ont obtenu des postes de femmes de ménage. Des métiers valoris

ants ont été dépréciés pour combler les besoins en main d’oeuvre de la France. L’accueil réservé n’a pas été non plus au beau fixe avec un racisme latent et des conditions de vie et salariales peu glorieuses. Ils se sont retrouvés loin de leurs familles dans des villes excentrées mais n’ont rien dit. Personne n’était préparé à cela.
Pourquoi ne pas avoir fait
demi-tour ?
Seuls des billets d’avion aller avaient été distribués. Ensuite il fallait se fondre dans la masse, mettre de côté sa culture créole et accepter sa nouvelle vie, loin d’être celle rêvée. La jeunesse était venue chercher l’indépendance, elle avait soif d’expériences et de découvertes et ce fut la douche froide. Et un retour aurait été tout aussi honteux et déceptif. Alors, ils ont pris le pli, ils ont fondé leur famille et ont évolué dans des métiers qui ne leur correspondaient pas mais qui offraient une stabilité économique, notamment dans la fonction publique où des avantages leur étaient accordées, comme les congés bonifiés, pour faire passer plus facilement la pilule et fidéliser les générations suivantes. Et cela a fonctionné ! Tout le monde a courbé l’échine. Mais, aujourd’hui, cela pose le problème dans le sens inverse. Les Outre-mer manquent cruellement de personnes formées pour des postes dans l’éducation ou la santé. Le territoire est dépeuplé du fait de l’absence de formations adaptées aux besoins actuels. Or, il existe des opportunités d’élévation sociale aux Antilles mais encore faut-il y retourner…
Sentez-vous que la nouvelle
jeunesse a davantage conscience de ce passé et est prête à bousculer les choses ?
Je l’espère. On a ouvert la parole sur le Bumidom et, depuis, les témoignages se multiplient. C’est important car ce n’est pas l’Etat qui en parlera... La population antillaise, traumatisée par l’esclavage, a de nouveau subi une trahison de la part de son pays. Elle arrive à l’assimiler mais le chemin est long. Quant à la jeunesse antillaise, elle a toutes les clés pour donner un nouvel élan aux Outre-mer et utiliser sa double culture au service de leurs îles.