La réalisatrice Anne-Sophie Nanki, en présélection aux Césars 2024
La scénariste et réalisatrice guadeloupéenne Anne-Sophie Nanki peut esquisser un joli sourire. Son court-métrage «Ici s’achève le monde connu», qui revient sur la colonisation des Antilles au XVIIe siècle, a figuré parmi une vingtaine de projets présélectionnés dans la catégorie meilleur court-métrage français aux Césars 2024. Une mise sous les projecteurs qui lui permet de rêver plus grand.
Quel sentiment avez-vous ressenti quand vous avez appris que les Césars s’intéressaient à votre film ?
Je voulais vraiment que mon film ait un tel accueil et j’en suis ravie ! La réception de ce court-métrage a été bonne dans de nombreux festivals à l’étranger mais il était quelque peu boudé en France. Faire partie d’un choix trié sur le volet pour concourir aux Césars a redonné du souffle à ce projet et, surtout, lui a permis d’être vu et revu. Il y a forcément un avant et un après cette sélection et l’après est grandiose car il nous ouvre l’ambition du long-métrage. La visibilité qu’offre une nomination aux Césars ainsi qu’une rediffusion sur France Télévisions, Arte et Canal+ Antilles, a élargi mes plans d’avenir ! Cela va également faciliter le financement de «Ici commence le monde nouveau». Je me sens prête à me lancer et je recherche une ou des productions aussi aventurières que moi !
Cette histoire caribéenne mérite d’être projetée sur grands écrans ! C’est une mise en abyme de l’histoire de nos ancêtres et des prémices de la colonisation sous l’ère Vasco de Gama
. Tourné comme un film historique, il raconte une vérité que nous ne sommes pas tous prêts à entendre… Je ne cherchais pas à dépeindre une grande fresque d’époque mais davantage de raconter l’histoire de personnages, notamment des femmes, et d’avoir le point de vue de l’autre côté des colonisateurs. On laisse ainsi disparaître John Smith pour une narration portée par Pocahontas ! Il est urgent de traiter de faits qui ont existé et leurs conséquences tout en acceptant la culpabilité, les tensions et, parfois, la honte qui en découlent. J’avais à coeur de me pencher sur cette facette inédite de notre héritage amérindien.
Native des Antilles, la colonisation reste un thème qui vous touche.
Evidemment ! Mais mon souhait est d’apporter de la nuance dans mes films et dans mes personnages. On ne peut pas simplement être manichéen, il n’y a pas que des méchants d’un côté et des gentils de l’autre. Nous, scénaristes, nous devons avoir différents axes de réflexion. En tout cas, j’ai travaillé dans ce sens pour mes films. Je viens d’achever l’écriture d’un long-métrage, The heights of Kigali, co-écrit avec ma compagne rwandaise. Nous évoquons le parcours d’un couple queer au Rwanda qui aimerait avoir un enfant et qui recherche le donneur idéal. Le sujet est d’actualité et peut sembler lourd sur le papier mais nous avons choisi de l’évoquer sous l’angle de la comédie. J’aime l’idée de traiter des questions existentielles et de réflexions sociétales de façon presque naïve et rempli de bonnes ondes et ce couple va être aidé par la communauté à trouver le père parfait à ce futur enfant. C’est un vrai beau film de cinéma avec une autre représentation des queers noirs africains et qui rend hommage au Rwanda, un pays devenu florissant et apaisé en 30 ans. Je suis très enthousiaste de pouvoir tourner ce film qui entend également montrer des images positives et bienveillantes. On en a bien besoin !
Vous faîtes des choix osés dans vos réalisations. Pourquoi ?
J’aime faire bouger les lignes et décortiquer nos vies, nos habitudes, nos comportements. J’aime m’inspirer de notre passé tout autant que de notre présent. Je suis scénariste avant d’être réalisatrice, je suis cette plasticienne du cinéma. J’évolue au fil des collaborations et rien n’est jamais figé. J’aime cette sensation de me dire que je peux tout écrire, tout réaliser, comme l’américain Stanley Kubrick dont j’admire la carrière. J’aimerais pouvoir passer d’un genre à un autre, voire même réaliser un film de science-fiction ! Le cinéma offre une palette de travail colossale et la créativité n’a pas de limites. On le ressent d’ailleurs dans les Outre-mer où les projets n’ont jamais été aussi nombreux. Le cinéma ultramarin commence à prendre de la place et je m’investis pour être au coeur du réacteur en me présentant notamment à la commission des Césars. Les fonds financiers (le Fonds images de la diversité et le Fond Outre-mer au sein du CNC ne sont pas cumulables) ne sont pas encore suffisants pour que tous les réalisateurs antillais jouent dans la cour des grands. Vincent Fontano, Sarah Malléon, Nelson Foix, Jimmy Laporal-Trésor, nous nous suivons tous. Nous nous encourageons mutuellement et je souhaite que les institutions publiques fassent de même. Il y a une vraie vitalité aux Antilles, il faut nous faire confiance !