L’acidification des océans, un danger pour la planète ?

Les chercheurs et océanographes au CNRS et à l’Ifremer Frédéric Gazeau et Fabrice Pernet se sont intéressés à une problématique environnementale encore peu médiatisée, que l’on appelle l’acidification des océans. Tout comme le dérèglement climatique, c’est une résultante des émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère par les activités humaines, qui induit une augmentation de l’acidité de l’eau de mer et crée un dérèglement au sein de l’univers maritime. À terme, les conséquences pourraient être néfastes pour les végétaux et animaux marins.

En quelques mots, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’acidification des océans ?
Frédéric Gazeau : Les émissions de dioxyde de carbone (CO2), résultant de la combustion des énergies fossiles par l’activité humaine, renforcent l’effet de serre et provoquent le dérèglement climatique. Alors que la sensibilisation des populations à ce problème planétaire global progresse, l’acidification des océans, qualifiée de «l’autre problème du CO2», demeure aujour-d’hui encore largement méconnue. Avec mon confrère Fabrice Pernet, chercheur à l’Ifremer de Brest, et moi-même chercheur CNRS à Villefranche-sur-Mer, nous avons mené un travail de fourmi autour d’un sujet de recherche somme toute assez récent. Mais il nous semble déjà urgent d’interpeller les scientifiques et les politiques. Nous avons ainsi mené une expérimentation autour de la culture des moules et des huîtres dans le but d’observer leurs croissances en mer Méditerranée si nous les exposons aux changements de température et d’acidité projetés pour 2050, 2075 et 2100

. Nous avons pu montrer que dans les conditions estivales attendues pour 2050, autant dire demain, les huîtres ont survécu mais pas les moules. Il est clair que de nombreux organismes issus du milieu maritime ne pourront pas résister à ces augmentations de chaleur et d’acidité…
Voilà un constat accablant et équivoque sur les effets des émissions de CO2 humaines.
Oui, il y a un vrai triptyque à prendre en compte qui est la désoxygénation, la diminution du pH (l''unité de mesure de l''acidité d''un liquide) et l’augmentation de la température des eaux. Plus le niveau de pH diminue, plus les eaux seront acides et plus les espèces faune et flore qui y vivent seront en danger. Dans notre ouvrage, nous présentons nos recherches et nous expliquons l’évolution à grande échelle de ces bouleversements environnementaux. D’autres épisodes similaires, appelés paléo-analogues, ont déjà été observés il y a des millions d’années, par exemple à l’époque des dinosaures, et la terre s’est toujours adaptée et renouvelée. Mais ce qui est nouveau ici c’est à la vitesse à laquelle les changements induits par l’homme se déroulent... Ils sont cent fois plus rapides quand l’humain est dans les parages et nous ne connaissons pas encore tous les effets qui vont en découler. Il est connu que la terre sait s''autoréguler et que certaines espèces ont les capacités de modifier leurs génomes pour survivre mais pas toutes… L’échelle est bien trop grande pour que tous les organismes marins, plantes, poissons, coraux, aient la capacité d’absorber des changements si rapides. Il faudrait des milliers d’années pour qu’ils évoluent suffisamment pour résister. Or, les conditions qui nous attendent sont sans précédent. La quantité de CO2 présente dans l’atmosphère sera si importante que ni la biomasse terrestre ni les océans ne seront en capacité de l’ingérer. Outre les effets écologiques, les effets socio-économiques seront également colossaux...
C’est-à-dire ? Quelles sont les issues possibles ?
Ce sont le tourisme, la pêche, les élevages de coquillages, etc, qui vont être durement touchés avec des impacts conséquents sur les sociétés humaines. Il est urgent de mettre en place des solutions de remédiation avec pour objectif une baisse considérable des émissions de CO2. C’est la seule solution qui peut fonctionner véritablement. Nous, chercheurs, pouvons travailler sur d’autres techniques comme la co-culture avec les algues (qui savent stocker davantage le CO2) ou l’alcalinisation via les coquilles broyées (qui va augmenter le pH de l’eau de mer et favoriser la captation du CO2 de l’atmosphère). Mais, selon moi, c’est un peu comme mettre des glaçons dans l’eau. On peut refroidir un temps mais ce n’est pas une solution sur le long terme. Les activités humaines peuvent également être adaptées par exemple en changeant les zones de culture et en choisissant des régions moins impactées par le réchauffement et l’acidification. Mais il faut bien garder en tête que ces phénomènes sont globaux, même si des régions peuvent un temps servir de refuge, cela ne durera malheureusement pas…
Quel message souhaitez-vous
véhiculer ?
Nous sommes individuellement des acteurs majeurs de la réduction des émissions de CO2 souhaitée dans les décennies à venir. Mais cela doit également et principalement s’opérer au niveau de nos sociétés. Pour ne pas aller dans le mur, c’est-à-dire respecter les objectifs de réduction des émissions affichés par les gouvernements, il faudrait revivre un confinement tous les ans… Vous imaginez bien que c''est évidemment très compliqué. De plus, il y a malheureusement une certaine inaction des gouvernements qui lancent des initiatives, trop légères à mon goût, et qui ne se mouillent guère. Bonne nouvelle, nous évoluons vers des modes de production d’énergie à faibles émissions (éolien, solaire, géothermie, nucléaire) mais il faudrait modifier les méthodes agricoles, modifier nos comportements alimentaires comme manger moins de viande, prendre moins l’avion, se déplacer davantage à pied, à vélo ou en transports en commun… Je m’attache à sensibiliser les jeunes sur ces notions car c’est cette génération qui pourra, je l’espère, faire bouger les choses.