VIOLENCE ET PWOFITASYON

L a violence semble s'installer dura- blement dans notre société et se radicaliser. Ce qui frappe les esprits c'est surtout le rapprochement, depuis le début de l'année, des faits de violence graves par leur nature de crime de sang, d'agression et de braquage avec armes blanches et armes à feu. Les violences de ces dernières semaines, avec assassinats, ont agi comme des déto- nateurs, dans une période de vacances considérée comme une trêve, un moment de décompression. Alors, les machines à parler, les officines de débat sans fond, les hommes poli- tiques qui depuis le «bordel» de juin der- nier n'avaient rien à dire, les biens pen- sants habituels, ont repris du service pour vendre du vent, se donner, à peu de frais, bonne conscience. Pourtant, il y a un vrai problème de violence dans notre société. Il n'est pas seulement une question de mora- le et ne peut s'expliquer par une quelconque relation à la carte génétique de l'homme guadeloupéen. Depuis que cette violence se manifeste à un niveau qui installe une insécurité permanente, il ne serait pas juste de dire que rien n'est fait pour au moins la contenir, voir l'enrayer. En février de cette année, les groupes «a po» ont défilé à Pointe-à-Pitre avec comme thème «Stop à la violence !». Le Conseil Régional a organisé à la fin de l'année dernière un Congrès sur le même thème, sans compter d'autres colloques d'associations et de marches silencieuses pour mobiliser l'opinion et pacifier les rapports humains. Et nous ne parlerons même pas des nombreux articles, parus dans nos éditions depuis plus de vingt ans, sous différentes signatures, dans le but de sensibiliser l'opinion et les déci - deurs politiques et économiques, sur la montée de la violence en Guadeloupe. Si, selon les autorités judiciaires, les actes de délinquance ne sont pas en augmen - tation par rapport à l'année dernière, il est un fait certain que les passages à l'acte deviennent plus crapuleux, expriment un certain mépris pour la vie de l'homme et évoluent vers un gangstérisme organisé. Ce qui ressort le plus lorsque l'on écoute ceux qui s'expriment sur cette question c'est : la démission des parents, l'incivilité des jeunes en manque d'éducation, le manque de travail et d'activités, l'échec de l'école, le trafic de drogues… Tout cela est vrai, mais ce ne sont que des constats qui, s'ils ne sont pas expliqués, ne permettent pas de comprendre les cau - ses du phénomène. Il y a déjà une chose positive que, dans tous ces débats, ne s'exprime pas l'idée dangereuse qu'il y a des Guadeloupéens programmés génétiquement, voleurs, assassins, trafiquants de drogue, violeurs, proxénètes. Si tel était le cas, on peut ima - giner ce qu'auraient proposé certains pour régler le problème de la violence. Fort heureusement, à l'échelle de l'humanité, aucune voix autorisée des sciences de la vie n'a développé une telle idée, hormis les criminels nazis. En vérité, le monde dans lequel nous vivons, où dominent l'idéologie du capitalisme, c'est-à-dire : la propriété privée, l'exploitation de l'homme, les injustices, les discriminations, la loi du plus fort, le pouvoir de l'argent, le liberticide, est fondé sur la violence et se développe dans la violence. Dans le communisme primitif qui est la première forme de société humaine, il n'y avait pas de violence entre les hom- mes, parce que l'homme n'était propriétaire de rien et partageait tout, à égalité : La terre, la forêt, les eaux, les animaux, les grottes. Il n'y avait pas de laisser pour comptes, des frustrés. La violence et la mort ont fait leur apparition dans les relations humaines avec le début de la propriété privée. Les hommes ont commencé à s'armer et à se battre pour défendre leur lopin de terre, leurs animaux, leurs femmes. Cela s'est poursuivi avec l'industrialisa - tion, puis la mondialisation capitaliste. Toutes les institutions, les secteurs éco - nomiques, sont mobilisés pour gagner de l'argent, pour rentabiliser les capi - taux, au mépris de l'humain. La publici - té, l'information et la communication ont pour mission de véhiculer les valeurs de cette société, d'imposer le modèle social capitaliste comme l'aboutissement de l'humanité. Parler de lutter contre la violence, sans jamais remettre en cause le modèle de société capitaliste qui est à la source de cette violence, est de la pire hypocrisie. Car la démission des parents dont on parle n'est pas propre uniquement aux parents défavorisés, victimes des institutions de l'Etat qui ont fait le choix politique de l'assistanat plutôt que de privilégier le travail et la dignité. Elle est aussi le fait de parents aisés et instruits qui eux aussi sont victimes du liberticisme et des normes de vie du modèle social capitaliste Le chômage qui mutile la vie, porte atteinte à la dignité, génère colère et frustration, n'est pas un choix volontaire de plus de 70 000 Guadeloupéens. Il est celui de l'Etat capitaliste français qui préfère, dans le cadre d'un système de pwofitasyon, aider ses entreprises à vendre leurs marchandises en Guadeloupe plutôt que d'aider les Guadeloupéens à développer leur économie. La lutte contre la violence doit être globa - le. Elle doit être, avant tout, politique. Elle passe nécessairement par un changement de société, par l'éradication des mécanis - mes du système de pwofitasyon.