Entretien avec Carlos Lozano (partie 2)

Le MOIR a envoyé au Parti communiste colombien unelettr e pour l'inviter à se retirer du PDA. La même demande a, dit-on, été formule par Carlos Gaviria Daz lors de la Conférence idéologique du PDA. Que répond le PCC ?
Carlos Lozano : Bon, autant que je sache, nous n'avons jamais reçu la lettre. Ils l'ont rendue publique et un journal télé y a fait allusion. C'est un manque de courtoisie, laquelle existe aussi en politique. Mais en plus il faudrait se demander : qui a donné le droit au MOIR de décider qui peut ou non appartenir au Pôle démocratique alternatif ? De leur vieille vie militante maoïste ils ont gardé l'habitude de se com - porter dans les organisations unitaires comme des commissaires politiques ou comme des gardes rouges. C'est un manque de respect. C'est à celui qui n'apprécie pas un autre parti ou un allié de se retirer du PDA. Celui qui y entre de façon volontaire décide de la même façon s'il reste ou pas. Autant que je sache le Maître Carlos Gaviria Díaz ne s'est pas exprimé de cette façon lors de la conférence idéolo - gique, bien qu'il ait émis des opi- nions, comme c'est son droit bien entendu, opinions que nous ne partageons pas, ce qui est également notre droit. Cela ne change en rien notre respect, notre esti - me et notre sympathie pour le Maître Gaviria.

Quelles sont les diffrences ?
Carlos Lozano : Le Maître dit que la Marche patriotique n'a pas bien expliqué son éventuelle relation avec les FARC, et il recourt au vieil argument, ana - chronique, de la combinaison des formes de lutte, argument qui était celui de l'extrême droite et des bellicistes pour justifier l'élimination de la gauche et de l'Union patriotique. Mille et une fois les porte-parole de la Marche patriotique ont déclaré qu'ils n'avaient pas de lien avec les F ARC, l'objectif c'est la paix, la solution politique et démocratique du conflit. La Marche ne défend pas la guerre, c'est un mouvement social et politique civil qui agit publiquement et légalement. Que veulent-ils de plus ? Que faut-il dire de plus pour qu'ils soient moins suspicieux ? Le reste c'est la répétition des accusations fallacieuses et dangereuses des dirigeants de l'armée et de l'extrême droite criminelle. Pour discuter sur la combinaison des formes de lutte il faut ouvrir un débat sur le Nouvel État qui doit être construit, après élimina- tion de la violence dans la relation entre les gouvernants et les gouvernés. Ici la violence a été inventée par l'État des bourgeois et des grands propriétaires ter- riens, parce que la classe domi- nante a pris l'habitude de gou- verner par des moyens répressifs, autoritaires et violents. En Colombie il n'y a pas d'État démocratique, mais un État tota- litaire, qui utilise des méthodes violentes pour éliminer l'oppo- sant. Le PDA en a lui-même été victime, subissant persécution et lynchage politique et médiatique pour le liquider. Précisément c'est pour ça que le thème à débattre ce n'est pas la combinaison des formes de lutte, mais la nécessité de la paix par la voie du dialogue et la construction de la démocra - tie avec justice sociale.

La gauche a un futur ?
Carlos Lozano : Bien sûr. Mais une gauche luttant pour le change - ment, une gauche engagée dans la transformation révolutionnaire de la société. Pas une gauche light, au rabais, compromise avec le pouvoir, dans des alliances avec des «bourgeoisies nationales», lesquelles n'existent pas. Une gauche qui ait son propre projet démocratique et social. Il y aura toujours de l'espace pour la gau - che. Les idéologues de la droite ou de la pseudo-gauche se sont trompés quand après la chute du Mur de Berlin ils ont déclaré la mort du socialisme et y compris la fin de l'histoire. Norberto Bobbio les a démasqués et il a démontré que la délimitation gauche-droite est toujours pertinente et que les idéologies ne disparaissent pas dans le feu de la lutte idéologique, laquelle connaît forcé - ment des avancées et des reculs.

Uribe et Santos s'af fr ontent vio - lemment. Certains, y compris à gauche, prétendent pouvoir servir d'intermédiair e pour aplanir leur querelle. Qu'en pensez-vous?
Carlos Lozano :Intermédiaire pour quoi ? Ce sont des contra- dictions au sein de la classe domi- nante, deux factions du bloc hégémonique, l'un représentant la bourgeoisie traditionnelle, assez aristocratique, et l'autre en décomposition, mafieuse, prte à tout pour détruire l'adversaire. Santos redoute cette dernière, c'est pour ça qu'il ne s'y oppose pas plus durement. Ce sont en fait des dif férences de forme, mais qui peuvent s'accentuer et qui peuvent devenir dangereuses. La gauche n'a rien à faire dans cette querelle, ce n'est pas son affaire, elle doit se concentrer sur son projet alternatif et unitaire, se préparer à devenir une option de pouvoir. Voyez la proposition trompeuse du vice- président qui consiste à asseoir Uribe et Santos à la même table, pour qu'ils se mettent d'accord pour la Constituante uribiste, laquelle n'a pas d'autre but que la réélection d'Uribe Vélez. Qui a dit que les litiges entre Uribe et Santos sont le principal problème du pays ? Allons. Il faut être sérieux et responsable quand on occupe des postes importants dans l'État.

Parlons de la paix. Vous voyez la possibilité d'un futur dialogue entr e le gouver nement Santos et les FARC ?
Carlos Lozano : Il n'y a pas d'au - tre issue au conflit actuel que la voie politique, le dialogue pacifique et démocratique, une paix avec démocratie et justice sociale. La paix est étroitement liée au renforcement de la démocratie et de la justice sociale. Des causes précises sont à l'origine du conflit colombien et tant qu'elles ne disparaissent pas il sera dif ficile de parv enir à la paix. La réticence de la classe dominan - te à modifier ce qui est à l'origi- ne du conflit, voilà ce qui fait que le conflit perdure. La paix n'arrivera pas gratuitement, je ne le crois pas, parce que ce serait comme une paix romaine. Si le gouvernement croit que le dialogue c'est pour négocier la reddition des insurgés, il perdra son temps. Ce n'est pas là que se trouve la porte de la paix. La clé fonctionnera s'il ouvre la discussion, publiquement, avec la parti - cipation de toute la société.

Certains disent qu'un dialo - gue secr et existe déjà. Qu'en savez-vous ?
Carlos Lozano : C'est probable - ment vrai, pour l'élaboration de l'agenda. Mais je ne sais rien de sûr. De toute façon si ces approches existent cela me paraît bien parce que les FARC et l'ELN ont manifesté leur disposition au dia- logue et à la recherche de la solu - tion politique, et on a vu des signes évidents, lesquels ne sont pas suffisants pour le gouvernement, mais ils sont importants, et même historiques. Celui qui doit faire un geste, qui doit faire des signes, c'est le gouvernement ; ce dernier maintient avec insistance le choix de la guerre et du néolibéralisme, pour livrer le pays auxtransnationales.

On dit que les approches c'est avec les FARC ; l'ELN ferait aussi partie du processus ?
Carlos Lozano : Le dialogue ça doit être avec les FARC et l'ELN. Ça n'aurait aucun sens de dialoguer avec l'un et d'exclure l'autre.

Humm... on dit que vous savez davantage que cela...
Carlos Lozano : Ne croyez pas trop à tout cela. Ce qui est impor- tant c'est que la paix est au centre du débat et il sera inévitable qu'à court terme s'ouvre le dialo- gue pour la démocratie et la justice sociale. De la paix avec justice sociale dépend le bien-être du pays. Avec la paix la Colombie deviendra un pays viable.

Que pensez-vous des FARC-EP ?
Carlos Lozano : C'est une orga- nisation politique et militaire qui a surgi en raison de la violence de l'État et de l'exclusion sociale. Elles ont été un protagoniste important dans l'histoire du pays pendant plus d'un demi-siècle, c'est une réalité qui ne peut pas être ignorée. Pour les F ARC il faut rechercher des solutions, et celles-ci se trouvent dans l'issue politique et non dans la guerre insensée.

Vous partagez leurs méthodes ?
Carlos Lozano : Je ne partage pas leurs méthodes, mais je comprends leur existence, d'un point de vue historique et sociologique. Cette position est basée sur une perception intellectuelle et académique. Si l'oligarchie colombienne n'avait pas employé la violence pour se maintenir au pouvoir et pour préserver le régime ploutocratique des privilèges, les F ARC n'existeraient pas. Je ne fais pas l'apologie de la guerre, mais je suis obligé de faire une lecture sérieuse du conflit colombien, même si cela me coûte quelques problèmes, des menaces, voire même des procès. Les idées ne se vendent pas ; et les pressions et les intimidations ne changent rien aux idées.

A suivre…