Kanmangnyòk ou Mangnyòk dou : Mi bon biten !
Consommer local ! Ressasse-t- on depuis des décennies.Et pourtant,la mayonnaise ne prend que timidement.Même la for te mobilisation sociale de 2009 n'a guère rien changé aux habitudes de consommation des Guadeloupéens.
D ans le domaine des cultures vivrières, différentes raisons sont évoquées : insuffisance de la production pour rendre les prix à la portée de la bourse de la ménagère, abandon de certaines productions locales considérées comme étant «manjé a maléré», mauvaise présentation des produits après leur récolte, préférence accordée à des denrées venant de l'extérieur et vendues à des prix défiant toute concurrence, perte du goût des cultures du terroir gua - deloupéen, sans parler du dénigre- ment, consciemment ou incons- ciemment, de certaines ressources de notre agriculture, par les Guadeloupéens eux-mêmes ou la négligence des parents qui, à partir d'une certaine génération, ont cessé de familiariser leurs enfants avec ce qui est produit localement. Des personnalités notoirement connues, telles que le docteur Henri Joseph, Madame Marie Gustave, tentent depuis quelques années de réhabiliter les cultures vivrières et maraichères ainsi que les plantes de la flore guadeloupéenne. C'est tout à leur honneur et nous disons, heureusement ! Mais, n'est-ce pas aujourd'hui une aberration que d'être dans l'obli- gation de faire intervenir des spécialistes dans les écoles pour faire découvrir à nos enfants les saveurs et les odeurs de nos produits, tirés de la terre de nos ancêtres ? L'accent est souvent mis sur la banane, l'igname, la patate, pour ce qui concerne les tubercules. Malheureusement, d'autres tubercules sont pratiquement oubliés ou passés sous silence, faute de temps. C'est le cas du kanmangnòk ou Kamangnyòk . Il est important de souligner qu'il ne s'agit point du manioc utilisé traditionnellement pour la fabrica - tion de la farine de manioc et tous ses dérivés : moussache, cassave, galettes, crêpes etc… Ce manioc, dit manioc amer, ne se consomme pas bouilli car , il contient des toxi- nes qui constituent des redoutables poisons pour l'homme et les animaux proprement dits. Qu'on se rassure cependant ! Ces toxines sont complètement éliminées par la chaleur, lors de la transformation du manioc. Ou pé manjé zié fèmé. Le manioc dit doux, par rapport au manioc amer, est communément appelé Mangnyòk dou ou kan- mangnòk ou Kamagnyòk ou camanioc. Le nom scientifique est Manihot utilissima Crantz. Comme toutes les autres variétés de manioc, la plante est un arbrisseau qui peut atteindre de 1,50 m à 2 m de haut, à tiges noueuses et à racines tubéreuses, de la famille des euphorbiacées, originaire du Brésil et probable- ment de toute l'Amérique tropicale, elle a certainement été introduite dans nos îles par leurs premiers occupants connus, les Arawaks et surtout les Caraïbes. Elle se reproduit très facilement par boutures et n'exige aucun entretien particulier , même dans les régions pas très arro- sées. La récolte des tubercules ou racines, par touffes, peut se faire entre 9 à 10 mois. Traditionnellement, le kanmangnòk se consomme bouilli comme l'igname, la patate, le malanga ou les autres tubercules. Après l'avoir épluché, il suffit de le faire cuire «a gwo sel» durant 20 à 25 minutes et de le consommer, de préférence chaud, accompagné d'un «koubouillon pwason» bien relevé ou d'un ragoût de cochon ou de bœuf. «Mi bon biten ! Ou ké manjé dwètaw !». En période d'a- vocats, des tranches pour l'accom- pagner trouveraient leur place. Il faut savoir que le manioc doux peut être transformé comme le manioc amer , même si les résultats ne sont pas les mêmes du point de vue gustatif et de la texture. Cette pratique se fait généralement à l'é - chelon familial quand on ne dispo- se pas de manioc amer. Au même titre que l'igname, la patate, le madère, le malanga, la banane verte, le manioc doux ou kanmangnòk doit être réin - troduit dans nos habitudes ali - mentaires, dans un esprit d'au- to suf fisance alimentaire. La plante se raréfie de plus en plus. Sa culture doit être vive- ment encouragée par les services de l'agriculture et tous ceux qui travaillent pour que la Guadeloupe retrouve sa capaci - té de production agricole d'il y a une cinquantaine d'années ou pour faire simplement revivre le jardin familial. Kanmangnòk, sé sa osi ki ran'n nou solid kon sa. Nous ? Bien sûr, nous qui avons soixante ans ou plus aujourd'hui et, surtout, nos parents.