LES FAUSSAIRES

Combien de fois ne me suis-je pas étonné, n'ai-je pas éprouvé un sentiment de colère ou de mal aise, lorsque je constatais au cours d'undébat public qu'un expert proférait unecontre vérité et que celle-ci passaitcomme une lettre à la poste ? Je ne parle pas ici d'une erreur mais d'un menson ge volontaire et assumé par son auteur. Dans ce cas, le spécialiste invité pouréclairer le public le trahit et ne remplitpas sa mission. Moi qui ai toujours craint de ne pas être suffisamment précis ou exact, de faire une erreur, et qui suis mortifié s'il m'ar rived'en faire une, je suis estomaqué par tous ces intellectuels et experts qui n'ont pas de scrupules employer des arguments de mauvaisefoi, à énoncer des contre vérités, afind'emporter l'adhésion. Leur culot, leur absence totale de scru pules semblent être limités et constituerun atout. Loin de subir une réprobationgénérale, on les acclame de plus belle. Etre sans vergogne n'est pas sans avan tage et semble sans risque. Le «mentirvrai» se porte à merveille. Encore une fois, je ne parle pas ici des erreurs, que chacun peut commettre.Encore que… certains les accumulentsans que leur aura n'en souffre. Unsportif qui alignerait les contre-perfor mances cesserait d'être sélectionné. Un expert peut enchaîner les erreurs enétant toujours invité sur les plateaux. Unfois mis sur orbite médiatique, on neredescend pas sur terre. Plus grave que ceux qui se trompent, il y a ceux qui trompent : les « faussaires». Ils recourent à des arguments aux quels ils ne croient pas eux-mêmes pour mieux convaincre téléspectateurs,auditeurs ou lecteurs. Ils peuvent croire à une cause mais emploient des méthodes malhonnê tes pour la défendre. Ce sont donc des «faussaires» qui fabriquent de lafausse monnaie intellectuelle pourassurer leur triomphe sur le marchéde la conviction.Pire encore : les « mercenaires ». Ceux là ne croient en rien, si ce n'est à euxmêmes. Ils vont adhérer (ou plutôt fairesemblant d'adhérer) à des causes, non parce qu'ils estiment qu'elles sont porteuses, qu'elles vont dans le sens duvent dominant. A force de répéter les mêmes argu ments, les «mercenaires» peuvent finirpar s'autoconvaincre du bien fondé deleur engagement. La frontière entre«faussaires» et «mercenaires» n'est pasétanche. Dans tous les cas, tous sontconscients qu'ils sont aux antipodes del'honnêteté intellectuelle, et ils ne s'ensoucient pas pour deux raisons : La première est que pour eux, la fin justifie les moyens. Ils considèrent quele grand public n'est pas assez mûr pourfaire la part des choses, et qu'il convientde le guider fût-ce par des méthodespeu scrupuleuses.La seconde est qu'à partir du momentoù ils défendent les thèses dominantes,leurs méthodes répréhensibles neseront jamais sanctionnées. Pourquois'embarrasser de scrupules ? Dire lavérité oblige à un effort supplémentairede conviction. Proférer un mensongen'est pas, n'est plus disqualifiant. Il fau drait être sot pour ne pas en profiter. Pourquoi les «faussaires» ne sont-ils pas démasqués mais bénéficient, aucontraire, d'un avantage comparatif parrapport à ceux qui sont trop scrupuleuxpour oser s'affranchir des règles del'honnêteté intellectuelle ? Commentexpliquer cette impunité ?Les vertus d'honneur, de dignité, pourêtre toujours mises en avant, sont demoins en moins respectées. Le ridiculene tue plus depuis longtemps, il semblemême dans certains cas être un bain dejouvence permanent.L'honnêteté intellectuelle n'est plus uncritère qui conditionne l'expositionmédiatique. Il n'y a pas que les parolesqui s'envolent, les écrits également.Priorité est souvent donnée à celui qui assène son propos de façon péremptoire (et qui ne s'embarrasse pas avec lessubtilités de la réalité), même si chacun a en mémoire les contradictions, omissions ou mensonges proférés.