L'AVENTURE ALGÉRIENNE D'OSCAR NIEMEYER Du bon usage de son testament humaniste

L'architecte brésilien aux 600 réalisations,père de la ville de Brasilia et du siège du PCF, place du Colonel Fabien à Paris,s'est éteint mercredi 5 décembre,à près de 105 ans.

Niemeyer laisse derrière lui, à l'issue d'une carrière longue de 70 ans, un colossal corpus d'ouvrages d'architectureindissociable du Brésil, où il est néle 15 décembre 1907. Le Brésil adécrété un deuil de huit jourspour cette personnalité scienti fique humaniste qui a eu des funérailles nationales. La preuvede la maturité et du respect de lascience pour les pays respectueuxdu savoir . A l'issue de sa formation, son entrée au sein de l'agence de l'ar chitecte Lucio Costa en 1932 sera déterminante. V ingt-cinq ans plus tard, en 1957, Costa est chargé de réaliser le plan d'urbanisme de lanouvelle capitale administrativedu Brésil, Brasilia. Niemeyer enédifiera les bâtiments publicsmajeurs, et sera considéré commele “père” de la cité futuriste,décrétée Patrimoine mondial del'humanité en 1987 par l'Unesco. En forme d'avions aux ailes incurvées, Brasilia est ordonnée pardeux axes perpendiculaires, selonle plan imaginé par Lucio Costa.Niemeyer en réalise la cathédrale,qui peut accueillir 4000 personnes,le Congrès national (Chambre desdéputés et Sénat), le ministère des Affaires étrangères, le Tribunalsuprême et le Palais de laPrésidence, encadrant la Place des Trois Pouvoirs. Parmi ses réalisations les plus célèbres, où le verreet le béton sont omniprésents,figurent le secrétariat des Nations Unies à New York où le siège duParti Communiste Français.L'ÉLÉGANCE DE BRASILIALes architectes brésiliens vou laient une architecture qui sortdes sentiers coloniaux battus,ceux du “magister dixit.” Commerapporté dans le journal LeMonde : “Surgie en 1822, aumoment de l'indépendance duBrésil, l'idée de faire table rase dela mémoire coloniale (avec la villede Rio de Janeiro comme capita le\ une première pierre est posée pour le centenaire de l'indépendance. Au début des années1920, la colonisation intérieure du Brésil est en marche. La construction de Brasilia, en quarante mois, est une performance technologique, avec acheminement des matériaux par avion, travail du béton armé, audaces équili bristes. Elle surfe sur une immen se vague de nouveautés, industrielles et culturelles. Le prix Pritzker, considéré commele Nobel de l'architecture, lui aété décerné en 1988 pour lacathédrale de Brasilia, dont lacélèbre coupole en “couronne d'épines”permet à la lumière d'i nonder une nef pourtant souterraine. Au béton armé, sa matière de prédilection, Niemeyer imprime des courbes féminines uneautre de ses passions. La ville“rationnelle”, d'une superficie de5,8 km carrés, se dote d'un métro et de bus, de centres commer ciaux, ajoute aux quartiers résidentiels des espaces verts et un lac artificiel. Brasilia, fut inaugurée en avril 1960. Construite en 1000 jours par des milliers d'ou vriers travaillant nuit et jour, ce cas inédit de ville moderne “planifiée et construite d'une traite,faite en courant”, s'avère unedéception cruelle pour Niemeyer: le peuple brésilien ne sort pasgagnant du projet. ”Une ville du futur, confiait Oscar Niemeyer, serait une société horizontale où chaque individu serait égal à l'au tre, où l'homme ne se préoccuperait des honneurs, où les gens seraient plus simples, plus compréhensifs, plus humbles, sachantréellement qu'ils sont insigni fiants. C'est quelque chose quis'est passée en Union soviétique. Je ne pense pas que ce soit terminé, rien n'est fini. Là où il y a desmisérables, il y des communistespas loin.L'AVENTURE ALGÉRIENNE REVENDIQUÉE PAR LE MAÎTREOscar Niemeyer a marqué l'archi tecture algérienne post-indépen dance. On lui doit quatre réalisa tions majeures ; \(L'Usta, l'Epau, l'Université de Constantine et laCoupole du 5 Juillet. A ce propos,il semble que les deux grandsaxes qui traversent cette dernièrefont respectivement 54m et 62m,un clin d'œil, dit-on, à la révolu tion algérienne. Il est curieux de constater que lesréalisations de l'architecte OscarNiemeyer ne sont pas cités dans les manuels et les journaux, notamment français. Pourtant,de l'avis même de l'architecte, sapériode algérienne fut une époque bénie, Il y donna la plei ne mesure de son talent, notamment, lors de la conception del'Université de Constantine quiconstitue pour lui une œuvremajeure, en dehors du Brésil. Samaïl Hadj Ali s'est entretenuavec l'architecte Oscar Niemeyer àRio de Janeiro, à la fin du moisd'août 2005. En 1962, Hadj Aliplantant le décor d'une Algéried'alors ouverte, pétillante avecl'aura de la révolution, écrit :“L'indépendance acquise, l'Algérie devint une terre d'accueil et d'asile. Cité cosmopolite, ouverte sur le monde, elle hébergeait alors des femmes et deshommes, qui de l'Angola auBrésil, de l'Afrique du Sud auPortugal, de la Palestine aux Black Panthers et au Mozambique com battaient le colonialisme, l'apartheid, le salazarisme, le racisme etles dictatures golpistesd'Amérique du Sud. C'est dans cecontexte de résistance, de “tiersmondisme” qu'Oscar Niemeyerest sollicité par l'Algérie.L'UNIVERSITÉ DE CONSTANTINE, UNE DE MES RÉALISATIONS LES PLUS ACCOMPLIESParlant de l'entretien avec Oscar Niemeyer il écrit : «C'est dans unemodeste pièce, qui est aussi son espace de travail, que cet arpenteur de courbes me reçoit. Je luiof fre le livre L'Arbitraire, témoi gnage sur la torture, du poètecommuniste algérien Bachir HadjAli, dans les prisons de l'Algérieindépendante. Je suis arrivé, ditil, en Algérie au bon moment,quelques années après la victoirecontre la colonisation. Il y avait encore beaucoup de bonheur, dejoie, et une certaine gravité, faceaux besoins énormes du peuplealgérien que les colonialistesavaient méprisé. Je pense qu'onoublie cela. J'y ai trouvé lameilleure des solidarités. J'ai aimé ce pays, j'ai gardé de l'affection pour lui. J'ai adoré la villed'Alger si lumineuse, etaccueillante. Et puis, il y a saCasbah, construite au XVIè siècle, je crois. C'est un très beau patri moine, avec ses petites mosquées, ses mausolées, ses maisons blanches presque aveuglespour se protéger du vent. Jem'y suis souvent promené,montant et descendant sesescaliers, ses ruelles qui donnent sur la mer. Ce fut aussi un lieu de lutte pour la libération. La victoire des Algériens contre lecolonialisme français a été unmoment inoubliable pourmoi. Cette victoire fut celle del'humanisme contre l'oppres sion coloniale. Un tel combat mérite le respect».«Le chef d'Etat algérien,Boumediene, souhaitait me ren contrer . Nous avons eu d'excel lentes relations. Je peux dire, aujourd'hui, qu'il m'a offert laprotection de l'Algérie pendanttoute la période où j'ai vécu exilé en Europe, a cause de la dictatu re dans mon pays. (... tions de tout, et bien sûr, des projets en cours, parmi lesquels l'Université des sciences et tech nologies d'Alger, de l'EcolePolytechnique d'architecture etd'urbanisme d'Alger et bien sûrde l'Université de la ville deConstantine à l'Est du pays. Parmitous les projets réalisés, celui del'Université de Constantine tient une place particulière, pour plusieurs raisons. D'abord, c'était undéfi architectural. Je voulais que le béton obéisse à mon esthé tique, dans le cadre du relief dramatique et accidenté deConstantine, une ville accrochée à un rocher, et comme suspenduedans le vide. Lorsqu'il m'arrive enprivé ou en public de parler demon travail, des choses que j'airéalisées, je dis toujours quel'Université de Constantine faitpartie de mes réalisations les plusaccomplies».