LA RÉVOLUTION HAÏTIENNE :Défis d’hier et d’aujourd’hui

Dans un important dis- cours prononcé à lasalle Sonis à P ointe à Pitre le 1er janvier 2013, à l'occasion du 209e anniversaire de l'indépendance d'Haïti, le sociolo - gue Auguste Joint invite à réfléchir sur le sens del'indépendance d'Haïti.L es questions qu'ils posent nous paraissent pertinentes dans le contexte guadeloupéen aujourd'hui,eue égard à la méconnaissance de l'histoire d'Haïti par nombre de nos compatriotes et des r elations que cer tains v oudr aient rendre conflictuellesa v ec la communauté haï tienne présente sur le sol guadeloupéen à partir de mensonges et falsifications véhiculés par l'impérialisme dominant dans notre région caraïbe.

P our réfléchir sur le sens de l'indépendance d'Haïti, posons-nous d'abord les questions suivantes : quel était le sens de la révolution haïtienne ? Quel défi nos ancêtres ont dû relever pour aboutir à cet événe - ment extraordinaire, à cette épopée, à ce miracle qu'on n'avait jamais vu dans l'histoire : des esclaves aux mains nues qui ont gagné les batailles et ont eu la victoire finale contre la première armée du monde, l'armée de Napoléon Bonaparte de la République française. Et aujourd'hui, quel est encore le sens de la Révolution haïtienne ? Le miracle haïtien est-il encore possible ? Quel défi avons-nous à relever pour aboutir à une deuxième indépendance d'Haïti ? C'est autour de ces questions que je vous invite à prendre un instant pour réfléchir avec m oi.

CONCERNANT LES DEFIS DE NOS ANCETRES

Rappelons-nous d'abord le contexte de la révolution haïtienne : la situation inhumaine des esclaves, les résistances et les révoltes étouffées depuis les Amérindiens et de ces esclaves noirs pendant 300 ans (1492- 1793\ te des Espagnols en 1492, de l'extermination des premiers habitants de l'île par le travail forcé et leur remplacement par des noirs venant d'Afrique au moyen de la traite négrière et réduits en esclavage par les colons européens, qu'ils soient espagnols, anglais ou français jusqu'à l'insurrection des esclaves le 22 août 1791. Le 2ème moment de la révolte des esclaves est de 1791 pour aboutir à la première abolition de l'esclavage en 1793 par le commissaire français et républi- cain, Sontonax. Malgré tout, les esclaves étaient divisés en ban- des. Il a fallu l'arrivée de Toussaint Louverture, le stratège et l'organisateur, pour favoriser l'unité des esclaves noirs, pour parvenir à leur libération définitive et à l'autonomie de Saint- Domingue par la Constitution du 9 mai 1801.

Men pwoklamé libèté se youn, konsèvé li se yonlot.

Les esclaves noirs et les af franchis mulâtres n'avaient pas les mêmes intérêts. Les pre - miers défendaient leur liberté, les deuxièmes défendaient leur autonomie des colons blancs. Mais esclaves et affranchis ont su mettre de côté leur dif férence secondaire pour faire cause commune et se défendre contre leurs ennemis communs : les colons blancs esclavagistes.

E nou menm jodia, eske nou pare pou mete interè pèsonel nou a kote, pou nou mete ansanm pou sove peyi nou k'ap deperi ?

Pour écraser l'armée indigène et rétablir l'esclavage, en janvier 1802, Napoléon Bonaparte envoya à Saint-Domingue le général Leclerc avec une armée de 22.000 hommes et 86 vais - seaux. Après avoir gagné les premières batailles, le 6 mai 1802, Leclerc avait obtenu la reddition (le dépôt d'armes oussaint Louverture qui malgré tout res - tait influent. Quelques jours plus tard, par traîtrise, Leclerc avait fait arrêter Toussaint, l'avait déporté en France où il mourut dans le froid au fort du joux le 7 avril 1803. Mais, qu'on se sou - vienne des paroles célèbres de T oussaint Louverture au moment de son embarquement, je cite : « En me renversant, on n'a abattu que le tronc de l'arb- re de la liberté, mais il repoussera par les racines parce qu'elles sont profondes et nombreuses. » Les racines de Toussaint Louverture, c'était les héros de l'indépendance d'Haïti. Les racines de ces héros, c'est nous les Haïtiens d'aujourd'hui. Notre mission est grande et honorable.

Kisa n ap fè pou nou ranpli mis- yon sa jodya ?

Après l'arrestation de Toussaint Louverture par l'armée française, arrive alors le 3emoment décisif de la Révolution haïtienne. Dessalines, le premier lieutenant de Toussaint, s'est mis d'accord avec Pétion, le chef des affran- chis, pour rassembler les troupes et mener la guerre contre l'armée française. C'est l'unité entre les esclaves et les affranchis pour défendre une même cause : l'indépendance d'Haïti / la liberté générale ; d'où notre devise nationale :

l'union fait la force. Ansanm nou fò, yon sel nou feb !

Parmi les batailles et les gestes livrés par les esclaves et lesaf franchis contre l'armée de Napoléon Bonaparte, nous pou - vons rappeler : le congrès de l'Arcahaie et la création du dra - peau bicolore bleu et rouge, le 18 mai 1803, pour symboliser l'u - nion patriotique des noirs et des mulâtres contre les blancs ; autre fait : la défense du fort de la Crête-à-Pierrot à Petite Rivière de l'Artibonite avec les paroles célèbres de Dessalines, je cite : «Nous serons attaqués ce matin. Je ne veux garder avec moi que des braves. Que ceux qui veulent redevenir esclaves des français sortent du fort. Que ceux au contraire qui veulent mourir en hommes libres, se rangent à côté de moi. » Et la réponse unanime était : « Nous mourons tous pour la liberté ! ». Qu'on se souvienne aussi, pendant la bataille de Vertières, de l'exploit du général noir Capois-la-Mort qui, à la tête de ses soldats, criait « En avant ! en avant ! » quand un boulet de l'armée française avait enlevé son chapeau; et il criait plus fort « En avant ! en avant ! », quand un deuxième boulet avait renversé son cheval de bataille. Ce geste héroïque avait provoqué l'admiration du général français Rochambeau et de ses soldats qui cessaient la bataille pour saluer le passage du général noir .

Jodya, nou tounin yon objè de mepri ou de konpasyon pou lot pèp. Anpil Ayisyen hont di yo se Ayisyen. Kisa nou kapab fè pou nou soti nan sityasyon sa ? Sommes-nous prêts aujourd'hui à faire les mêmes sacrifices que nos ancêtres pour sauver notre pays ?

Observons les conséquences de la révolution haïtienne : Parmi les aspects positifsde cette révolution, nous pouvons rappeler: d'abord la chasse des colons blancs qui a permis l'indé- pendance et la libération défini- tive des esclaves et des affranchis de Saint-Domingue ; à cela s'a- joute la reprise du nom d'origine AYITI Haïtifrent des noms Hispagnola ou Saint-Domingue que les conquérants espagnols et français avaient donnés au pays \(manière de le dépersonna- liser, de le dépouiller de son identité);

Autre conséquence positive :

les Haïtiens étaient des semeurs de révolution dans la Caraïbe et en Amérique Latine. La petite histoire nous rapporte qu'après l'indépendance, des soldats haïtiens étaient envoyés dans des îles de la Caraïbe pour semer la révolution de la libération des esclaves. La plupart ne sont pas revenus. Ils ont été éliminés par des maîtres d'esclaves. Il y avait aussi en Haïti des missions d'ob - servations et de ravitaillement des libérateurs de l'Amérique Latine, comme celles de Miranda et de Bolivar pour Venezuela, Bolivie et Argentine. Haïti était un observatoire, un exemple à suivre pour favoriser la libéra - tion des esclaves et l'autonomie des pays dépendants. La libéra - tion des esclaves d'Haïti était un exemple pour le reste de l'hu- manité contre le système de l'escl avage et de la colonisation. L'exemple d'Haïti a délégitimé le système de l'esclavage en vigueur depuis 300 ans. Comme consé- quence, cela a occasionné l'abolition de l'esclavage d'abord des colonies anglaises avant 1848 et ensuite des colonies françaises en 1848, comme Guadeloupe, Martinique et Guyane.

A suivre…