L'aventure algérienne (Suite du numéro précédent)

“J'ai été très touché, continue Oscar Niemeyer que le projet de la Grande Mosquée d'Alger soit accepté par Boumediene. Comme souvent, les idées peu - vent surgir de manière inopinée et inattendue. Une nuit à Alger , en 1968, alors que je m'apprêtais à m'endormir , me vint l'idée de dessiner une mosquée. J'ai tra- vaillé, un peu comme dans un état second, une partie de la nuit, dans ma chambre de l'hôtel Aletti, donnant directement sue le port et la belle baie d'Alger.. Au final, au petit matin : une mosquée suspendue au-dessus de la mer et reliée à la terre ferme par une superstructure, à côté d'une plage, à proximité du Port d'Alger. Boumediene, en voyant les plans de la mosquée, s'était exclamé : “Mais c'est une mosquée révolutionnaire.” Je lui ai alors répondu, en riant : “Président, la révolution ne doit jamais s'arrêter , elle doit être partout.”

“Pour moi, l'idée de surprise est le point le plus élevé de l'archi - tecture. Même les gens les plus modestes, ceux qui n'ont pas été sensibilisés à l'architecture, sont surpris quand ils voient la cathé - drale de Brasilia, conçue, comme le projet de la mosquée d'Alger, par un communiste !!! Ils se demandent pourquoi et comment une telle construction ? Il ne suf fit pas pour un architecte de sortir d'une faculté pour qu'il le devienne

. A un jeune Algérien, qui étudie l'architecture, je dirai une ou deux choses : il faut connaître son pays, apprendre à l'aimer et il faut, c'est essentiel, lire, lire des romans, de la poésie, pour nourrir son imaginaire. C'est cela qui fera de lui un architecte qui vit avec son époque,avec son temps. C'est comme cela qu'il pourra parti - ciper à la transformation de la société dans laquelle il vit et qu'il sera un homme libre.”

Cette vision généreuse du savoir interdisciplinaire, l'Algérie a pris totalement le contre-pied, non seulement il n'y a pas de brassage interdisciplinaire, à telle enseigne que sortis de leurs équations leur bréviaire médical ou leur scolastique médiévale, les étudiants sont ignares, pire encore ils naissent vont à l'école, au lycée, à l'université une université par wilaya voire par tribu - se marient et meurent dans la même ville. Nous sommes loin du brassage seul ciment contre l'effritement identitaire porteur de tous les dangers.

LE CHEMIN, C'EST LE PARTI COMMUNISTE

La deuxième partie de notre regard sur ce géant de la pensée humaine concerne son engagement indéfectible du côté des faibles. Le combat d'Oscar Niemeyer est à bien des égards, exemplaire. Il n'a jamais perdu sa faculté de s'indigner pour que les choses aillent bien et que l'homme retrouve sa dignité. “Pour moi, déclare Oscar Niemeyer, l'architecture n'est pas la chose la plus importante. Ce qui est essentiel, c'est de lut- ter pour un monde meilleur où il est possible de vivre comme des gens bien, comme des gens dignes, et pour cela, il faut si peu. En même temps, je serais heureux si mon architecture y contribue. Pas plus que je n'arrê - te de travailler, je n'arrête de protester, d'agir, de prendre position contre l'exploitation, l'injustice sociale, le capitalisme. Je peux dire que mon travail d'architecte se nourrit aussi de tous mes combats.” Certaines fois, il est pris par le doute, mais il ne perd pas espoir : “Souvent, les choses sont tellement dégradées, la misère est telle, le désespoir est si présent, l'injustice si généralisée que j'ai l'impression qu'il n'y a rien à faire. Les hommes seraient-ils aussi mauvais ? Face à tout cela, il faut rester modeste et savoir que nous ne valons pas grandchose. Nous ne sommes que des poussières d'étoiles.

J'ai compris immédiatement qu'il fallait changer les choses. Le chemin, c'est le Parti communiste. Je suis entré au Parti et j'y suis resté jusqu'à aujourd'hui, en suivant tous les moments, bons ou mauvais, que la vie impose. Quand je parle d'architecture, j'ai l'habitude de dire que la vie est plus importante que l'archi - tecture. Tous les mardis, se tien- nent dans mon bureau des ren- contres avec des étudiants, des intellectuels, des scientifiques, des gens de lettres. Nous échan- geons des réflexions philoso - phiques, politiques sur le monde. Nous voulons comprendre la vie, changer la vie, l'être humain. Quand la vie est très difficile, l'espoir jaillit du cœur des hommes, il faut se battre, faire la révolution. On ne peut pas améliorer le capitalisme : il est responsable de ce qu'il y a de plus mauvais dans le monde.

CHANGER LA SOCIÉTÉ, CHANGER LE MONDE

“A juste titre, écrit le professeur Giovenni Semeraro, Niemeyer est appelé le “poète des courbes,” selon une définition qu'il a lui-même brillamment esquis - sée. Mais au-delà de l'usage merveilleux qu'il a fait des courbes, des formes légères et transparentes, s'élevant vers le ciel comme si elles volaient, au- delà de l'imagination, de la sur- prise et de l'inédit qui se trou- vent dans ses centaines d'œuvres de par le monde, je crois qu'un des aspects les plus significatifs de ses créations a été sa capacité de penser les monu - ments, les édifices et les villes comme espace public. Comme œuvres intégrées dans l'environ - nement, ouvertes aux expressions culturelles et politiques du peuple : presque comme une invitation à chacun à faire s'ex- primer son esprit créatif et convivial. Lieux dans lesquels il disait lui-même, “l'homme ordinaire et sans pouvoir, toute la population, pût se reconnaître et se sentir à son aise et pût avoir la sensation d'appar - tenir à une création commune, à un monde libre et d'gaux. Sans interdictions, sans hiérarchies, sans secrets, sans armes, dépassant toute distance et sans se sentir écrasés par l'impor tance et l'arrogance des constructions des “messieurs” et des centres de pouvoir. Après la construction de Brasilia, en effet, il n'avait de cesse de dire qu'“il ne suf fit pas de faire une ville moderne : le plus important est de changer la société.”

Les grands médias, conclut le professeur Semeraro ont naturellement, fait de beaux discours sur sa génialité, sur la résonance mondiale de ses œuvres, sur son activité et sa longévité, sur sa générosité et solidarité. Mais peu de gens ont parlé de ses convictions politiques, de son communisme, de son programme de vie résumé dans la phrase “tant qu'il y aura dans le monde de l'injustice et de l'inégalité, moi je serai un communiste. Puisse votre combat nous inspirer Longtemps Reposez en paix Maître, que la terre vous soit légère !

(Source LGS)