Sévérino de Hérédia, Noir, Cubain, Maire de Paris, Ministre de la République

L e racisme aidant, la réalité nous a appris qu'il faut fouiller longuement, pa- tiemment, sous les cendres épaisses de l'oubli, du rejet définitif, pour trouver trace d'une femme noire, d'un homme noir qui aurait par son talent, sa culture, ses mérites, marqué l'histoire de France. Peu importe le statut, l'origine : esclave, descendant d'esclave, africain, antillais ou autres, vous êtes marqué au fer rouge, du sceau indélébile de la dévaluation, de l'insignifiance, dont la colonisation, les exhibitions dans les foires, les expositions coloniales sous pré- texte de cannibalisme et d'huma- nité inférieure, les campagnes d'évangélisation musclées, les mises à l'écart ont été et sont encore de nos jours, les signes les plus visibles, les plus évidents d'un racisme profond, presque congénital de la société française. Finkielkraut, Zemmour, Frêche, Max Gallo, Guerlain, intellectuels de renom, ou patron d'industrie, en sont les figures de proue. Aucune rue, aucune place, aucune impasse ne porte leurs noms, ne les rappelle au bon souvenir des citoyens, de la nation, de la“mère-patrie

.” Il a fallu attendre le début de ce21e siècle pour voir débaptiser une place de Paris, du nom de “Richepance”, esclavagiste bien connu, envoyé spécialement par Napoléon pour le rétablissement de l'esclavage en Guadeloupe, pour rebaptiser cette place en question, du nom de : Chevalier de Saint-George ! Pourquoi le nom de celui qui a rétabli l'esclavage chez nous a-t-il été choisi pour être immortalisé ? Que représentait ce “symbole” pour la France de la Liberté, de l'Egalité et de la Fraternité ? On nous a fait boire jusqu'à la lie, le calice du racisme, du mépris, de l'hypocrisie et du mensonge, en brandissant comme un étendard sur une place publique de Paris, le nom de celui qui a rétabli l'esclavage en Guadeloupe. Pire, on nous l'avait imposé en pleine “gu...” à Basse-Terre, sum- mum de l'insulte et de l'humilia- tion, à quelques encablures seulement de Matouba ! (1) Le Communard Melvil-Bloncourt(2) , Saint-Clair Deville, Sonis et beaucoup d'autres femmes et hommes noirs, attendent en vain de cette nation française qu'ils ont bien servie, respect, considération et reconnaissance. Tant que la mémoire de ceux des Noirs à qui l'histoire de France est redevable, ne sera pas enfin restaurée, portée à la connaissance du grand public, il faudra fouiller, encore fouiller, toujours fouiller.

“Sévériano de Hérédia : ce mulâ- tre cubain que Paris fit maire et la République ministre” est le plus récent titre de l'écrivain français Paul Estrade, qui nous dévoile la vie d'un homme sin- gulier, presque inconnu.

Sévériano de Heredia est né à La Havane en 1836, et à l'âge de 10 ans il débarqua à Paris avec sa mère adoptive, Madeleine deGodefroy , où il mena une lon - gue carrière politique et occupa des postes importants sous la IIIeRépublique.

Cousin du poète romantique cubain José Maria Heredia, et du poète parisien José Maria de Heredia, Sévériano se distingua plutôt dans le monde politique.

“Malgré cette relation familiale, il n'existe aucun document ou lettre prouvant qu'ils se sont connus ou qu'ils ont entretenu une relation quelconque”, a signalé le chercheur .

Sévériano fut un homme d'une vaste culture. Il maîtrisait parfai- tement la langue, devint citoyen français et s'identifia pleinement à son pays d'adoption.

En 1873 il fut élu Conseiller du quartier des T ernes (17e arron - dissement), et occupa plusieurs postes : il fut responsable de la Commission des affaires de la préfecture et de la Mairie centrale, membre de la Commission du budget et secrétaire de la vice-présidence du conseil.

LE “NÈGRE DE L'ELYSÉE”

Après six ans de travail avec la commune, le 1er janvier 1879, il est élu président du Conseil municipal de la Ville Lumière, soit Maire de Paris, une ville qui comptait alors deux millionsd'habitants. A l'époque, la durée du mandat était de six ans et il s'agissait plutôt d'un poste honorifique, le titulaire ne percevant aucun salaire pour ce travail.

Pendant ses six mois à la direc- tion de la capitale, il sut gérer avec succès les grands froids de l'hiver de 1879 et 1880 à Paris, lorsque les températures baissèrent à moins 23 degrés et les principales voies d'accès furent bloquées.

Il tomba jusqu'à un demi-mètre de neige, et Severiano ordonna de recruter 12 000 hommes sans travail pour nettoyer les rues, et ouvrir les locaux de la ville pour accueillir les personnes sans abri.

En 1881 il fut élu député pour le XVIIe arrondissement, l'un des plus populeux de Paris, et en 1887 il fut nommé ministre des Travaux publics par le gouvernement de Maurice Rouvier .

Pendant sa carrière, Severiano de Heredia fut l'objet d'attaques racistes de certains secteurs de la société, dont le quotidien L'Intransigeant, de Henri Rochefort, qui le qualifia de “nègre de l'Elysée.”

Ce qui n'empêcha pas le public et ses alliés politiques d'apprécier à sa juste valeur son travail et de lui confier d'autres responsabilités. Severiano joua un rôle très actif dans la lutte pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat, l'éducation gratuite, laïque et obligatoire, la for- mation professionnelle et la création des bibliothèques municipales.

SEVERIANO DE HEREDIA SUCCÈ- DE À VICTOR HUGO

“Radical progressiste, laïque, libre-penseur, franc-maçon, Severiano de Heredia défendit l'école publique, prôna la forma - tion continue et se montra même écologiste car il se passionna pour la voiture électrique”, précisait Paul Estrade. Severiano de Heredia succéda à Victor Hugo à la présidence de l'Association philotechnique, une organisation de promotion de la culture et de l'enseignement des adultes, qui existe encore aujourd'hui dans le Quartier latin. “Sa carrière, qui atteignit son apogée dans les années 70 et 80 du XIXesiècle, commença à décli - ner à partir de 1890, et cet homme sera oublié après sa mort', a affirmé Paul Estrade.

Sévériano de Heredia est décédé le 9 février 1901 d'une mort sub - ite. Il avait 64 ans, et des quotidiens comme le Figaro, la France et Le Rappel attribuèrent sa mort à une méningite, alors que d'au- tres affirmèrent qu'il était mort d'une commotion cérébrale. Sévériano de Heredia fut enterré le 13 février au cimetière des Batignoles, dans le Nord-Est de Paris. “A vec cet ouvrage, je pense avoir réussi une première approche d'un homme presque inconnu, auquel on n'accorda pas la Légion d'honneur, dont aucune rue ne porte le nom et dont aucune statue n'a perpétué le souvenir”, a conclu Paul Estrade.

Carmen Esquivel, Correspondant en chef de Prensa Latina en France

(1) Lieu historique où Delgrès et ses compagnons se sont faits sauter , s'opposant héroïquement à l'entreprise de rétablissement de l'esclavage en Guadeloupe par Richepance.(2) Melvil-Bloncourt Guadeloupéen, Marigalantais, est une figure importante de la Commune de Paris, dont nous avons fait état dans le n ° 506 des N.E. Il était adjoint du délégué à la guerre, Cluseret.