Rosa Luxembourg, le 1ermai 1913 : «Un moment d'unité internationale des travailleurs, pour la paix et le socialisme»

Nous vous présentons un article écrit par la révolutionnaire allemande Rosa Luxembourg, pour le 1er mai 1913. Cent ans après, en période de crise capitaliste et de guerres impérialistes, son analyse n'a pas pris une ride. Le 1ermai est plus que jamais la Fête combative et internationale du travail, le moment d'unité des travailleurs dans la lutte contre ce système fauteur de guerres, producteur de guerres. Vive le 1er mai!

A u moment du premier 1er mai, en 1886, la crise sem- blait dépassée, l'économie capitaliste de nouveau sur les rails de la croissance. On rêvait de d'un développement pacifique: les espoirs et les illusions d'un dialogue pacifique et raisonnable entre travail et capitalgermaient ; le discours de la «main tendue à toutes les bonnes volon - tés» perçait ; les promesses d'une «transition graduelle au socialis - me» dominaient». Crises, guerres et révolution sem - blaient des choses du passé, l'en - fance de la société moderne : le parlementarisme et les syndicats, la démocratie dans l’État et la démo - cratie sur le lieu de travail étaient supposées ouvrir les portes d'un nouvel ordre, plus juste. L'histoire a soumis toutes ces illusions à une épreuve de vérité redoutable. A la fin des années 1890, à la place du développement culturel promis, tranquille, fait de réformes sociales, commençait une phase de violent aiguisement des contradictions capitalistes - un boom avec ses tensions électriques, un krach avec ses effondrements, un tremblement de terre fissurant les fondements de la société. Dans la décennie suivante, une période de dix ans de prospérité économique fut payée au prix de deux crises mondiales violentes, six guerres sanglantes, et quatre révolutions sanglantes. Au lieu des réformes sociales: lois de sécurité, répression et criminalisation du mouvement social. Au lieu de la démocratie industrielle: concentration extraordinaire du capital dans des ententes et trusts patronaux, et plans de licencie- ment massifs. Au lieu de la démo- cratie dans l'Etat: un misérable écroulement des derniers vestiges du libéralisme et de la démocratiebourgeoise. La classe ouvrière révolutionnaire se voit aujourd'hui globalement comme seule, opposée à un front réactionnaire uni des classes domi- nantes, hostile mais ne se mainte- nant que par leurs ruses de pouvoir. Le signe sous lequel l'ensemble de cette évolution, à la fois écono- mique et politique, s'est consom- mée, la formuleà la quelle elle renvoie, c'est l'impérialisme. Rien de nouveau, aucun tournant inattendu dans les traits généraux de la société capitaliste. Les arme- ments et les guerres, les contradictions internationales et la politique coloniale accompagnent l'histoire du capitalisme dès sa naissance. Nous ne sommes que dans la phase d'intensification maximale de ces contradictions. Dans une interaction dialectique, à la fois la cause et l’effet de l'immense accumulation de capital, par l'intensification et l'aiguisement de ces contradictions tant internes, entre capital et tra- vail, qu'externes, entre Etats capitalistes - l'impérialisme a ouvert sa phase finale, la division du monde par l'offensive du capital. Une chaîne d'armements infinis et exorbitants sur terre comme sur mer dans tous les pays capitalistes du fait de leurs rivalités; une chaîne de guerres sanglantes qui se sont répandues de l'Afrique à l'Europe et qui a tout moment peut allumer l'étincelle qui embrasera le monde. Si on y ajoute le spectre incontrôlable de l'inflation, de la famine de masse dans l'ensemble du monde capitaliste. Chacun de ces signes est un témoignage éclatant de l'actualité et dela puissance de l'idée du 1ermai. L'idée brillante, à la base du Premier mai, est celle d'un mouvement autonome, immédiat des masses prolétariennes, une action politique de masse de millions de travailleurs qui autrement auraient été atomisées par les barrières des affaires parlementaires quotidien- nes, qui n'auraient pour l'essentiel pu exprimer leur volonté que par le bulletin de vote, l'élection de leurs représentants. La proposition excellente du fran- çais Lavigne au Congrès de Paris de l'Internationale ajoutait à cette manifestation parlementaire, indirecte de la volonté du prolétariat, une manifestation internationale directe de masse: la grève comme une manifestation et un moyen de lutte pour la journée de 8 heures, la paix mondiale et le socialisme. Et cette idée, cette nouvelle forme de lutte, a donné un nouvel élan au mouvement cette dernièredécennie ! La grève de masse a été reconnu internationalement comme une arme indispensable de la lutte politique. Comme action, comme arme dans la lutte, elle revient sous des for - mes et des nuances innombrables dans tous les pays, ces quinze der - nières années. Pas étonnant ! Le développement dans son ensemble de l'impérialis - me dans la dernière décennie conduit la classe ouvrière internationale à voir plus clairement et de façon plus tangible que seule la mise en mouvement des masses, leur action politique autonome, les manifestations de masse et leurs grèves ouvriront tôt ou tard une phase de luttes révolutionnaires pour le pouvoir et pour l'Etat, peu- vent apporter une réponse correcte du prolétariat à l'immense oppression que produit les politiques impérialistes. En cette période de course aux armements et de folie guerrière, seule la volonté résolue de lutte des masses ouvrières, leur capacité et leur disposition à de puissantes actions de masse, peuvent maintenir la paix mondiale et repousser la menace d'une guerre mondiale. Et plus l'idée du Premier Mai, l'idée d'actions de masse résolues comme manifestation de l'unité internationale, comme un moyen de lutte pour la paix et le socialisme, s'enracinera, et plus notre garantie sera forte que de la guerre mondiale qui sera, tôt ou tard, inévitable, sortira une lutte finale et victorieuse entre le monde du travail et celui du capital.

In Liepziger Volkszeitung, 30 avril 1913