Pour une réparation des crimes de l’esclavage des nègres

T out le mois de mai est ponc- tué par des manifestations de souvenir pour commé- morer la libération de l'homme noir de la servitude. Plus de trois cent ans d'esclavage et de la trai- te négrière ne peuvent pas passer dans l'oubli comme le préconi- sent certains descendants d'escla- ves qui ont honte de leur histoire. Le 10 mai, le Président de la République française, M. François Hollande dans son discours dans les jardins du Luxembourg s'est clairement prononcé contre la réparation des crimescommis par son pays, la France. Il s'est exprimé en ces termes : «La première des réponses est l'impossible réparation… Ce qui a été, a été… le seul choix possible de la répa- ration, c'est la mémoire et la vigilance» fin de citation. Nous avons voulu connaître le point de vue de M. Luc Reinette, Président du CIPN (Comité International des Peuples Noirs), puisqu'il est l'un des membres fondateur du projet du Mémorial Acte et qui mène la bataille pour obtenir une réparation pour tous les peuples sous domina- tion française jusqu'à ce jour.

Nouvelles Etincelles : Quel est votr e point de vue après avoir pris connaissance du discours de M. François Hollande le 10 mai ? Luc Reinette :

Nous considérons que c'est une insulte ! Nous serions curieux de connaître le point de vue de M. Hollande sur la réparation réclamée par les Juifs. Nous sommes bien infor- més des réparations consenties par les Allemands pour les Juifs. Pour autant, les Allemands pour- suivent l'œuvre de réparation et personne ne juge cela anormale. S'agissant de M. Hollande qui se dit socialiste, il a les mêmes comportements que ses adversaires de droite. Nous ne pouvons faire aucune différence. A l'époque de Sarkozy, c'était le slogan : «non à la repentance» ; Quant à Hollande, il dit «non à la réparation». Donc c'est du pareil au même. Ce qui est plus grave, c'est qu'il utilise une phrase d'Aimée Césaire, tirée de son contexte. Quand Césaire dit que le crime est irréparable, cela veut dire en d'autres termes que lorsque qu'on tue quelqu'un, on ne peut plus le ressusciter. Mais il va plus loin dans son développement en disant que la France et l'Occident ont une dette envers l'Afrique et le monde noir . Ce passage-là, il n'en a pas fait état. Il a pris ce qui lui convenait. Deuxièmement, et c'est quand même plus grave, le Président Hollande considère que le crime contre l'Humanité et la traite négrière est un crime de la France contre la France. S'il en est ainsi, je pense que les Allemands aurait pu aussi au bout de la seconde guerre mondiale nationaliser tous les Juifs et conclure qu'en final de compte, les Juifs sont devenus Allemands qu'il n'y avait rien à leur donner. Que s'est il passé pour nous ? En 1946, nous avons été érigé en département, ce qui a permis à la France d'échapper à ses responsa - bilités de décoloniser. Maintenant elle déclare que le crime contre l'humanité et la trai - te négrière est un crime de la France contre la France. M. Hollande part du principe que nous, Guadeloupéens, nous som- mes Français, de ce fait, nous n'avons aucun droit de réclamer quelque chose que notre peuple aurait commise. Et quand je pense qu'en France et même en Guadeloupe, il y a de ceux comme Serge Romana qui plaident pour que nous soyons reconnusFrançais descendants d'esclaves… Ils se sont piégéseux-mêmes.

NET : Plusieurs personnes revendiquent la réparation mais ne se joignent pas tous sur la nature de l'acte. Quel est votre point de vue ? L.R :

C'est là un grand débat. C'est l'un des points de discussion de la conférence de ce vendredi 24 mai au centre culturel de Sonis aux Abymes. Nous devons voir la portée des réparations. Beaucoup de gens parlent de réparation mais n'ont même pas l'idée de sa nature. Quand on considère que c'est un élément fondamental pour la survie du peuple noir à travers les différents continents qui sont Africain, Caribéen et Américain. Nous partons du principe que l'Europe et aussi l'Amérique se sont enrichis à partir de la traite de l'esclavage et au détriment des générations et des généra- tions d'hommes, de femmes et d'enfants. Aujourd'hui, les peu - ples en questions qui étaient esclaves ou colonisés n'ont pas de ressources financière pour mett- re en place un plan de dévelop- pement. Quand nous parlons de réparations, il ne s'agit pas pour nous d'une réparation indivi- duelle mais collective à travers le financement de plans de déve- loppement au niveau de la santé, de l'économie, du social, de l'éducation etc… Il est nécessaire que le monde noir, qui a accumulé un retard en matière de développement puis- se rattraper les autres nations. Sans cet apport, nous n'y parviendrons pas ! Il y a des gens qui se laissent aller au sentiment et qui abordent dans le sens de M. Hollande en déclarant que c'est irréparable, mais je dis, pour celui qui a été tué, c'est vrai qu'on ne peut pas le ressusciter, mais, la Justice obligera au coupable de payer de manière à prend- re en charge ses enfants pour les emmener à l'école et les nourrir. C'est ça, la réparation, il faut que les gens compren- nent que c'est un dû ! Ensuite, quand la France a décidé «d'abolir l'esclavage», c'est un rachat du cheptel humain qui était nos ancêtres qu'elle a faite et c'est la loi du 30 avril 1849, dite loi d'indemnisation que la France a utilisé pour payer les anciens maîtres d'esclaves. La réparation est une exigence non négociable. Aujourd'hui, de plus en plus de pays de la Caraïbe tels que Barbade, Antigue, Saint-Vincent ou Trinidad exigent de leurs anciennes puissances coloniales notamment de l'Angleterre des réparations. Nous les rejoignons et nous nous rendons bien compte que même ceux qui ont déjà leur indépendance où leur autonomie, rencontrent leurs ancien - nes puissances coloniales et trai- tent avec eux, ce qui leur donne les moyens financiers de promou - voir leur développement écono- mique et social.

NET : La seule réparation que consent M. Hollande, c'est que l'Etat participe à la réali- sation du Mémorial Acte, qu'en pensez-vous ? L.R :

Il faut rappeler que c'est un projet issu de notre peuple à travers le CIPN entre autres. Le Conseil Régional de la Guade- loupe a effectivement repris le projet avec nous, bien qu'actuel - lement, il fait comme si nous n'existions pas. Nous n'avons pas attendu les Français pour que depuis 1998 nous envisagions la construction du Mémorial Acte. Il est normal que l'Etat français participe à son financement en plus de la participation de la collectivité régionale. En aucun cas, cela ne peut-être considéré comme une réparation. Il est important de souligner que la réparation n'est pas seulement d'ordre économique, elle est aussi politique. Nous avons un droit à la liber - té fondamentale, c'est-à-dire pour une décolonisation vraie et totale de notre pays .