Martin Luther King : Je fais un rêve !

Le 28 août 1963,quelques 250 000 personnes se réunissaient sur le National Mall de la capitale américaine pour «la marche sur Washington, pour l'emploi et la liberté» organisée par le mouvement pour les droits civiques,dirigé par le Pasteur noir MartinL uther King.

U n mouvement qui prône l'égalité des droits pour les noirs américains et la fin de la ségrégation. «L'égalité maintenant», scan - daient les manifestants, tout en chantant : «We shall overcome», (nous vaincrons). Cinquante ans après le discours, «I have a dream», déclamé par Martin Luther King, devant le Mall, c'est un autre homme noir qui montera les marches du Lincoln Memorial pour lui rendre hommage : le Président des États- Unis. Le signe d'un progrès bien réel, en un demi-siècle, dans les relations entre la minorité noire et la majorité blanche. Mais la marche vers l'égalité est encore loin du fil d'arrivée.

UN FOSSSE PROFOND

Le fossé socioéconomique reste bien réel entre les noirs et la majorité blanche. Depuis le milieu des années 1970, le taux de chômage des premiers a pratiquement toujours été le double de celui des seconds. Pour les revenus, c'est l'inverse : les familles blanches jouissent de montants deux fois plus élevés que les familles noires. Quant au trésor des ménages, l'é - cart est encore plus grand. En 2010, les blancs étaient six fois mieux nantis que les noirs, a cons - taté l'Urban Institute, un centre de recherche à W ashington, D.C. qui a également observé que la récession avait plus durement touché ces derniers. Les chercheurs montrent notamment du doigt des pratiques discriminatoi- res.

«Nous savons que, pour les communautés de couleur, les taux des subprimes [prêts risqués à taux élevés] ou les pratiques de prêts abusives ou “prédatrices” sont deux fois plus élevés que pour l'ensemble de la popula tion» , a indiqué, au New York Times, Tom Shapiro, directeur de l'Institute on Assets and SocialPolicy , à la Brandeis University .

Sans être explicite, la discrimina- tion reste en ef fet inscrite dans les institutions, affirme Greg Robin- son, professeur au Département d'histoire et membre de l'Observatoire sur les États-Unis, à l'Université du Québec, à Motréal.

«On le voit, notamment, dans les règles d'admission des Universités, y compris Yale et Harvard, dit-il. Une partie des étu - diants est choisie au mérite, mais une au tre l'est parce que ce sont les enfants d'anciens étu- diants. Or, comme il y avait peu de noirs sur les campus auparavant, les jeunes afroam éricains sont désavantagés».

Sans oublier que les prisons amé- ricaines hébergent un nombre disproportionné d'hommes noirs. Ceux-ci sont même 3,6 fois plus susceptibles d'être incarcérés qu'un homme noir en Afrique du Sud, en 1993, avant que l'apartheid ne soit aboli…

Selon le ministère de la Justice, un homme à la peau noire court trois fois plus de risques qu'un homme à la peau claire d'être fouillé lors d'une intervention policière sur la route, soulevant ainsi la question du profilageracial. «Ces pratiques sont une forme de ségrégation insidieuse qui perpé - tue l'héritage d'avant les droits civiques, avance Greg Robinson. En réalité, on conserve un comportement raciste».

Le sociologue de la Duke University, Eduardo Bonilla-Silva, parle à cet égard de «racisme sans racistes» dans son bouquin du même titre. Une forme de racisme banalisé dont font preu - ve des individus ou des collectivi- tés qui se disent pourtant indifférents à la couleur de la peau(color -blind). Un exemple ? Un homme noir entre dans un com - merce jadis interdit aux «gens de couleur», mais est surveillé avec insistance par les commis. Comme l'illustrait Obama dans son discours dans la foulée de l'affaire Zimmerman.

RETENUE D'OBAMA

Pris entre sa volonté d'être le Président de tous les Américains et son identité noire, Barack Obama a, jusqu'à maintenant, fait preuve de retenue sur la question raciale. D'ailleurs, ses rares interventions publiques sur le sujet ont souvent été forcées par des événements hors de son contrôle -telle l'affaireZimmerman. Aux yeux des critiques, Obama a failli dans la lutte contre la discri- mination, inscrite dans les institutions, en refusant de s'y attaquer directement. , affirme Andrew J. Diamond, professeur en histoire et civilisations américaines à la Sorbonne, à Paris. Le Président reconnaît l'existence du racisme, mais mise trop sur la responsabilité individuelle des Noirs pour la dépasser , estime M. Diamond. Selon lui, la pensée d'Obama n'a pas fondamentale - ment changé depuis un discours prononcé peu après avoir annoncé sa candidature à la présidence, en 2007. Devant un public afroaméricain de l'Alabama, il avait alors évoqué la négligence des parents noirs qui disent à leurs enfants que «lire, écrire et conju- guer les verbes est pour lesblancs» , ou avait dit aux femmes noires de «retirer leurs pantou - fles» et critiqué «les trop nom- breux pères qui n'agissent pascomm e des pères». Hors camé- ra, le célèbre militant pour les droits civiques, Jesse Jackson avait, sur-le-champ, vilipendé Obama pour «avoir rabaissé les noirs», tout en ajoutant qu'il voulait «lui couper les couilles»…

PROGRÈS VERS L'ARRIÈRE ?

Au-delà des paroles et des gestes d'Obama, l'attrait d'une solution à l'inégalité raciale par la respon- sabilisation individuelle, au détri- ment d'une autre qui s'attaquerait aux formes institutionnali - sées du racisme, est bel et bien réel aux États-Unis, remarque Greg Robinson.

«On le voit par exemple dans le démantèlement progressif de l'État-providence et des programmes d'aide sociale», qui sert de filet aux plus pauvres, couche sociale dans laquelle les Noirs sont surreprésentés.

En juillet dernier, la Cour suprê- me a également invalidé, en catimini ou presque, une disposition centrale du Voting Rights Act de 1965, laquelle exigeait de neuf États du Sud au lourd passé ségrégationniste, qu'ils soumet- tent toute modification à leur carte électorale ou à leur mécanisme de vote à l'approbation des autorités fédérales. Pour justifier leur décision, les juges ont qualifié la loi de «surannée», puisque «le pays n'est plus divisé comme il l'était en 1965».

Pour M. Robinson, ces décisions trahissent «un déni des raisons systémiques de la persistance des écarts entre la minorité noire et la majorité blanche». «C'est un progrès vers l'arrière. On rêve que l'on vit dans une Amérique post-raciale, alors que ce n'est toujours pas le cas».

CHIFFRES ÉTATS-UNIENS

Part des individus vivant sous le seuil de la pauvreté

Blancs : 9,8% (2011) - Noirs : 27,6% (2011) - Blancs : 11,3% (1966) - Noirs : 41,8% (1966)

Source : Bureau du recensement

Valeur nette de la richesse des ménages en 2010

Blancs : 632 000 $ - Noirs : 103 000 $ Source : Urban Institute

Revenu des familles en 2010

Blancs : 89 000 $ - Noirs : 46 000 $

Source : Urban Institute

Taux de chômage (juillet 2013, annualisé)

Blancs : 6,6% - Noirs : 12,6%

Source : Bureau américain des statis- tiques sur le travail

Taux d'incarcération des hommes (2010)

Blancs : 1 sur 106 - Hispaniques : 1 sur 36 - Noirs : 1 sur 15

Source : The Pew Center on the States

Taux de grossesse des adolescen- tes de 15 à 19 ans

Blanches : 58 sur 1000 Noires : 117 sur 1000

Source : Guttmacher Institute Sources : Le Devoir. Libre de penser

Pour le Président vénézuélien Nicolas Madur o,«c'est grâce au Parti communiste que nous avons aujourd'hui la démocratie»